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En Israël, les rabbins réformés atteignent le cap des 100

Federica Sasso
4 décembre 2017
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L'une des pionnières du judaïsme réformé en Israël, Naamah Kelman - ordonnée en 1992 comme première femme rabbin dans l'Etat hébreu - nous parle de la vision de son mouvement.


Par souci d’équité, le Mouvement n’a pas voulu dévoiler qui était le « centième Rabbin » parmi les quatre nouveaux rabbins ordonnés le 16 novembre dernier : Leora Ezrachi-Vered, David Laor, Rinat Safania-Shwartz et Yair Tobias. Le Hebrew Union College à Jérusalem est le bastion du judaïsme réformé (Reform) en Israël et chaque année une classe de rabbins achève ses études, mais les ordinations de cette année ont été célébrées d’une manière particulière. Avec l’événement du 16 novembre, le mouvement réformé a en effet dépassé le seuil symbolique des cent religieux ordonnés en Israël ; c’est une étape importante pour cette branche du judaïsme qui en Israël continue à faire face à des obstacles, principalement dus au fait que la religion d’Etat se confond avec l’orthodoxie du Grand Rabbinat. Le 16 novembre dernier a aussi eu lieu la première ordination avec impliquant une mère et sa fille : Leora Ezrachi-Vered est en effet la fille de Naamah Kelman, doyenne du Hebrew Union College, qui en 1992 a été la première femme à devenir rabbin en Israël et qui a célébré ses 25 ans d’ordination. « A cette époque, j’étais une chose curieuse, une martienne. Israël était encore plus divisé qu’aujourd’hui entre les laïcs et les orthodoxes. Au point que le mot hébreu pour dire ‘religieux’ désignait de fait seulement les orthodoxes », rappelle la rav Kelman.

Naamah Kelman, 62 ans, est née à New York et a fait son alya (autrement dit, son immigration en Israël) en 1967. Elle et sa fille Leora appartiennent à une dynastie rabbinique de dix générations qui comptent de grands noms. Le père de Naamah, le rav Wolfe Kelman, était l’un des dirigeants du judaïsme conservateur (Conservative) et a contribué à préparer le terrain pour que l’ordination des femmes soit acceptée. La rav Naamah s’est impliquée pour qu’Israël s’ouvre au judaïsme libéral, et, de 1967 à aujourd’hui, le Mouvement a pris de l’ampleur. Il n’y avait alors que 8 congrégations réformées, on compte aujourd’hui 45 synagogues actives tout au long de l’année et 15 centres utilisés au cours des fêtes juives les plus solennelles. Malgré les avancées, la communauté réformée se heurte toujours à l’hostilité du Grand Rabbinat et a très peu de soutien de la part du gouvernement. En Israël, il n’y a pas de mariage civil, et en ce qui concerne le judaïsme, le Rabbinat central est la seule autorité apte à certifier les mariages reconnus par l’État, ainsi que les cérémonies funéraires et les enterrements.

Le mouvement réformé offre une vision différente du point de vue ultra-orthodoxe, c’est-à-dire un « judaïsme socialement responsable, égalitaire et pluraliste, parce que nous croyons que les Israéliens ne devraient pas être forcés à vivre selon une vision médiévale imposée par certains rabbins », affirme la rabbine Kelman.

A titre d’exemple, et non des moindres, le cas des mariages. De plus en plus d’Israéliens s’envolent vers Chypre ou d’autres pays européens pour se marier civilement, puis reviennent en Israël comme mari et femme, avec pour seule obligation de changer leur papiers, en étant alors libres de célébrer un mariage religieux avec le rite qui leur convient le plus. La Rav Kelman affirme que cette tendance touche aussi les religieux et que «désormais les féministes orthodoxes ne veulent plus se marier selon les règles imposées par le Rabbinat ».

Une autre des grandes batailles en cours vise à obtenir un espace près du Mur occidental (le Kotel, ou Mur des lamentations) au cœur de Jérusalem, où les hommes et les femmes peuvent prier ensemble. Le gouvernement israélien, le mouvement des Femmes du Mur (Women of the Wall) et le leadership des mouvements réformés et conservateurs ont négocié pendant deux ans. L’accord conclu prévoyait la création d’une zone mixte dans la partie sud du Kotel, mais l’été dernier, le gouvernement a fait marche arrière créant ainsi une tension considérable avec les communautés juives plus libérales. Le 16 novembre, une délégation réformée composée de 150 rabbins et étudiants – dont de nombreux Nord-Américains – s’est rendue au Kotel pour prier avant les ordinations. « Nous avons fait un geste de désobéissance civile en essayant d’entrer avec les rouleaux de la Torah », raconte la rabbine Kelman. La délégation a été attaquée, rabbins et étudiants ont été bousculés et arrêtés brutalement par les agents de sécurité, et agressés verbalement par des religieux orthodoxes. « Pour certains étudiants et membres de notre conseil, cela a été un peu traumatisant de ressentir toute cette haine de la part des autres juifs », souligne notre interlocutrice.

La nécessité de reconnaître les droits des membres du judaïsme conservateur et réformé, ou la possibilité de prier dans une zone mixte au Mur des Lamentations sont quelques-unes des questions qui pèsent sur le délicat équilibre entre l’Etat hébreu et la Diaspora, en particulier la Diaspora américaine. Mais la rav Kelman pense qu’un changement plus décisif ne pourra se produire que lorsque les questions concernant le rapport entre l’État et la religion auront une valeur électorale.

Pendant ce temps, les réformés en Israël continuent à répondre aux besoins de ceux qui ne sont pas reconnus dans le Rabbinat central. Parmi les projets en cours dans le pays, on entend aussi parler depuis une vingtaine d’années d’une Renaissance juive israélienne, une sorte de mouvement issu de la culture rurale des kibboutz et des moshav, et composé de groupes de laïcs qui se réapproprient leur propre judaïsme. En général, ces groupes rejettent les étiquettes et ne se définissent pas comme réformés, mais l’une des communautés a demandé à Leora Ezrachi-Vered de la guider en tant que rabbin. Enième petit signe de fluidité qui peut s’expérimenter en Israël en dehors des communautés orthodoxes.

En comparant avec le passé les questions sociales, Naaman Kelman affirme que l’une des différences avec Israël depuis vingt ans est l’augmentation du fossé entre les riches et les pauvres, et ensuite la crise des réfugiés venant d’Afrique. Le Hebrew Union College est un centre académique et ne prend pas position politiquement parlant, mais encourage les étudiants à être actifs du point de vue social, « à marcher dans le sillage de notre tradition prophétique », explique la rabbine. Qui ajoute ensuite : « Un membre de ma communauté a proposé de prendre huit rouleaux de la Torah et d’aller vers Holot, ce centre dans le désert du Néguev, dans lequel le gouvernement retient des demandeurs d’asile (en particulier originaires d’Afrique subsaharienne – ndr). C’est ce que nous devrions faire en tant que mouvement.

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