Le temps et le silence n’ont pas forcément raison lorsqu’il s’agit de bâillonner la Mémoire ou d’éviter des sujets qui font polémique. Certains ont cru lire dans les silence en creux et les oublis convenus que la Palestine et le sort des Palestiniens étaient définitivement actés. La question était désormais entendue, et il ne fallait plus qu’attendre qu’elle ne s’étiole et ne disparaisse que peu à peu. C’est exactement le cas de la Palestine. Non seulement le monde occidental mais aussi la majorité des pays arabes se sont forgés l’idée que la « Question de Palestine » n’était plus véritablement une question, et qu’Israël avait tissé une toile tellement serrée qu’aucune possibilité ne pouvait désormais renverser la tendance. L’Institut du Monde Arabe à Paris dans sa récente exposition sur la Palestine, et dans le livre « Ce qu’apporte la Palestine au Monde » essaye de répondre à cette question. On ne garde des Palestiniens deux images : soit celle d’un Peuple symbole de la lutte politique et culturelle contre l’oppression et pour que lui soit donné une terre et un Etat dont ils ont droit ; soit comme un peuple de terroristes voulant défaire l’occupant sioniste. Entre les deux, il y a la Palestine, des personnes, des vies, des histoires, une culture, des espérances, des savoir-faire. Comment s’exprime-t-elle ? Comment se perçoit-elle aujourd’hui…, et surtout après le 7 octobre 2023 ?
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Et pour le dire, je me réfère ici au « Dictionnaire amoureux de la Palestine » d’Elias Sanbar (Plon 2010). « Cela fait près de vingt ans que cela dure. Un processus diplomatique inabouti, sans cesse bloqué, malgré les professions de foi, les serments renouvelés d’allégeance à la paix, les déclarations d’amour à cette valeur suprême, répétés à l’envi, sincèrement ou pas (…) J’écris ceci pour dire la déception et la sourde colère qui habitent ceux qui, comme moi, ont cru et voulu cette paix encore introuvable (…). Il m’importe de tenir le lecteur au courant d’une récente et redoutable évolution du phénomène dont personne ne peut prédire où elle nous mènera ».
La Palestine ne saurait exister seulement du fait de la seule géopolitique, des atteintes aux libertés, aux attentats. La Palestine a une histoire, un passé, un présent et un avenir. Il faut le dire et s’en convaincre. Pour ce faire, les Editions Riveneuve ont donné carte blanche à un Franco-palestinien, Sabri Giroud, archéologue de formation et artisan du voyage. Il anime une agence spécialisée dans l’organisation de voyages culturels et solidaires en Palestine, Diwan Voyage, pour un tourisme responsable.
Fruit de huit ans de travail, l’auteur – chef d’orchestre et Directeur de ce colossal travail, donne la parole à 45 experts de 12 nationalités différentes qui portent la voix de la Palestine, et qui l’inscrivent dans cette région du Monde, dans le pays de Sham. Ce sont des chercheurs en sciences sociales et politiques, des intellectuels, des archéologues, des historiens, des anthropologues, des journalistes, des membres de la société civile, des artistes, des cinéastes… des Palestiniens ou non qui nous racontent ce qu’est la « Falastin », les combats, les espoirs au fil de l’Histoire depuis la Préhistoire, l’Antiquité et jusqu’à nos jours ? On y croise 50 portraits de Palestiniens ou de personnalités y ayant soit séjournés ou vécus sur ces terres. Nous croisons au travers de quatre chapitres quatre thématiques autour desquels l’Histoire de la Palestine s’est inscrite : Les origines, la Palestine et la mer, le cœur arabe du Proche-Orient, la Palestine dans la tourmente. Le découpage est arbitraire, et l’on pourrait en proposer un autre bien évidemment. Multiple et métissée l’auteur nous parle tout aussi bien d’Hérode, que de Jésus de Nazareth, de Noura, Al-Muqaddasi, de Youssef al-Issa, de Edward Saïd, de Ishaq Shami, de Ghassan Kanafani, de Mahmoud Darwisch, de Naïla Ayesh, Yasser Arafat… Des incontournables ! Néanmoins, s’il présente sous la plume d’Elias Sanbar, Izz al-Din al-Qassam homme de bien et eut l’unanimité des cœurs ; il présente aussi son contraire en la personne de Hhajj Amin al-Husseini. Nadine Picaudou a fort à faire avec ce personnage trouble, intrigant « qui reste une figure contestée de l’histoire palestinienne ».
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Si l’on parle beaucoup de la Palestine peu de lecteurs la connaisse vraiment. Les Editions Riveneuve ont eu raison de donner la possibilité à Sabri Giroud de nous permettre de connaître cet espace géographique qui n’est pas encore un Etat politique, et toujours en proie à l’arbitraire. Chaque famille y a une histoire qu’il soit en Europe, en Jordanie, dans les Camps de réfugiés, au Liban, en Syrie… où qu’il soit. Il est question de l’enracinement, d’une histoire d’hommes et de femmes qui ont fait les évènements au fil du Temps. Il faudrait encore d’autres pages pour parler de la Culture, du Cinéma, du Théâtre, de la cuisine, de la poésie, et des arts… En fait, rendre une visibilité vivante, réelle qui ne soit pas le fruit de l’imaginaire ou de la nostalgie, mais d’une histoire et d’une vie quotidienne contextualisées.
Un ouvrage dense et unique en son genre auquel je me permettrais d’ajouter deux bémols. 477 pages c’est déjà un travail immense ! Il mériterait, cependant, que lui soit adjoint quelques figures trop peu ou pas du tout mises en avant. Nous relevons seulement 7 femmes sur cette cinquantaine de portraits. On se serait attendu, par exemple, à lire le nom de la première Femme palestinienne chrétienne Maire d’une grande ville (Bethléem), et aussi de « Deux étoiles dans la nuit de notre vie » (Sœur Férial, Carmélite au Carmel de Bethléem au Journal La Croix). La seule Palestinienne du Carmel de Bethléem, Sœur Mariam Baouardy (1846-1878) et Mère Marie-Alphonsine Ghattas (1843-1927). Ces deux catholiques latines, respectivement natives de Galilée et de Jérusalem, ont fondé pour l’une le Carmel de Bethléem, pour l’autre la congrégation des Sœurs du Rosaire. « Cette double canonisation est une joie pour tous les chrétiens de Palestine, poursuit Sœur Férial. Nous l’attendons depuis longtemps et je crois que c’est le bon moment aujourd’hui. » Ce fut une joie pour tout le Peuple palestinien, qui à Rome, eut les honneurs d’une lumière internationale sur la Palestine. On dit souvent, qu’en Israël/Palestine il existe deux Peuples et trois religions. Or, ici la part des personnalités chrétiennes majeures dans l’élaboration d’une Théologie arabe de la Libération est inexistante en tant que telle. Le portrait, par exemple, de Mgr Michel Sabbah, que le Pape Jean Paul II avait choisi en 1987, comme premier Arabe palestinien à porter le titre de Patriarche latin de Jérusalem. Il avait été perçu par Israël comme un acteur engagé dans le soutien aux forces politiques palestiniennes. Le Père Manuel Mussallam, qui fut longtemps le Curé latin de Gaza, a été (et, l’est encore) un pont entre les diverses communautés.
La galerie de portraits se termine par la figure du journaliste Yasser Murtaja, tué en 2018 dans l’exercice de ses fonctions à Gaza. Cela rejoint malheureusement une triste actualité. “Expulsés des lieux comme du temps, les Palestinien·nes souffrent jusqu’à ce jour du déni de leur existence, de leurs racines, de leur avenir.” (extrait de la quatrième de couverture du livre).
Une solide bibliographie, des notes, des annexes, une présentation des contributeurs et un cahiers de 16 photos rendent ce livre attrayant et indispensable pour qui veut connaître cette Palestine dont on parle tant, et l’on connaît si peu. Merci à Sabri Giroud pour ce très beau travail par lequel il nous fait voyager, et au Directeur des Editions Riveneuve pour son courage éditorial. Nous attendons avec impatience un deuxième volume !
Références
Titre : « La Palestine en 50 portraits – De la préhistoire à nos jours »
Auteur : Sabri GIROUD
Éditeur : Ed. Riveneuve, Paris, août 2023
Collection :
477 pages. 29 €
ISBN 978-2-36013-674-2
Dernière mise à jour: 06/05/2024 12:42
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