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Martyrs de Damas: de l’Histoire à l’actualité

Frère Fadi Azar, curé à Lattaquié (Syrie)
27 août 2024
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Dans la capitale syrienne, les communautés latine et maronite ont l’habitude de célébrer ensemble cet anniversaire qui voit leurs fils unis dans le martyre ©Paroisse latine de Damas

Alors qu’ils s’apprêtent à vivre, le 20 octobre, la canonisation de sept de leurs morts martyrs de la foi en 1860 à Damas, les frères de la Custodie relisent cette histoire sachant que quatre des six pays du Moyen-Orient où ils vivent sont en guerre. De quoi méditer sur l’enchaînement des événements qui ont conduit au don le plus grand : celui de sa vie.


Chaque année, le 10 juillet, le calendrier liturgique de la Custodie de Terre Sainte commémore les « Martyrs de Damas ». Il s’agit de huit frères mineurs et de trois laïcs maronites, tués « en haine de la foi » dans la nuit du 9 au 10 juillet 1860, et béatifiés par Pie XI en 1926.

Avec l’annonce de leur canonisation par le pape François le 23 mai dernier, les martyrs de Damas ne sont plus seulement présentés à la vénération des frères mais à l’Église universelle. Qui sont-ils ? Dans quel contexte ont-ils donné leur vie en témoignage de leur foi ?

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La première implantation des franciscains en Syrie remonte au XIIIe siècle, mais elle a été épisodique, suivant le rythme des bouleversements politiques de la région. À partir du XVIe siècle, elle se stabilise et la première école ouvre à Damas, la capitale de la Syrie, où l’on espérait la conversion des musulmans et la réunion des chrétiens de divers rites avec l’Église catholique.

À la moitié du XIXe siècle, les relations entre chrétiens et musulmans en Syrie furent fragilisées par la guerre de Crimée. La Turquie et ses alliés français, anglais et piémontais étaient entrés en guerre contre la Russie. Le tsar ne cachait pas ses ambitions expansionnistes et envisagea de revendiquer le contrôle exclusif des Lieux Saints comptant sur le délitement de l’Empire ottoman.

Colère contre les chrétiens

Le Traité de Paris (1856) devait mettre un terme à la situation. Pour la première fois dans l’Histoire, la Turquie était reconnue comme puissance, avec la même personnalité juridique que les États chrétiens. En conséquence, le sultan fut contraint de reconnaître, avec le firman Hatti-chérif, la liberté de culte pour toute communauté religieuse résidant dans son empire et d’admettre tous ses sujets à des fonctions publiques, sans distinction de race ou de religion.

« Cette année, la célébration de la mémoire des martyrs a eu une saveur toute particulière. Elle avait un avant-goût de sainteté », a déclaré le frère Firas ©Paroisse latine de Damas

Pour les musulmans, cette condition était une insulte au Coran. Ils ne se contentèrent pas de protester, mais invitèrent tous leurs coreligionnaires à réagir contre les politiques du sultan. Dans les montagnes impénétrables du Liban, l’aversion obstinée des druzes envers les chrétiens pouvait les pousser à tout. Bien que le gouverneur général, Khursud Pasha, résidant à Beyrouth, ait fait croire aux évêques qu’il prendrait des mesures pour défendre la justice, un léger incident entre un garçon druze et un maronite, au début de l’année 1860, suffit à déclencher la colère contre les chrétiens. Les villages chrétiens furent alors envahis et incendiés, et les enfants, les femmes et les vieillards massacrés sans pitié.

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La même année à Damas – qui comptait quelque 150 000 habitants – les musulmans attaquèrent les catholiques. Plusieurs congrégations religieuses leur apportèrent secours, dont les franciscains. En plus des soins spirituels des latins, autochtones ou étrangers, ils tenaient l’école paroissiale et apportaient assistance aux pèlerins et aux pauvres.

L’émir algérien Abd-el-Kader, emprisonné en France puis exilé en Turquie, séjournait alors à Damas, où il était très estimé et redouté. Résolu à s’opposer aux assassins par tous les moyens, il arma 1 200 de ses soldats. Mais avant qu’ils n’aient eu le temps d’intervenir, un massacre s’était déjà produit.

9 juillet, veille des événements

Les catholiques de divers rites résidant à Damas étaient environ 10 000. Sentant la situation s’envenimer, beaucoup cherchèrent refuge ailleurs, mais la plupart comptaient sur l’intervention des consuls étrangers et de l’émir pour éviter toute violence. À la veille du 9 juillet 1860, on sentait qu’un grave événement était imminent.

Des paroles incendiaires émanaient des minarets des mosquées et des groupes suspects de druzes et de musulmans parcouraient les rues du quartier chrétien en chantant : « Oh, que c’est doux, oh, que c’est doux de massacrer les chrétiens ! » Pour mieux les provoquer, ils marquèrent les rues de croix et les obligèrent à les piétiner en passant. Certains allèrent même jusqu’à accrocher des croix autour du cou de chiens errants et forcer les chrétiens à s’agenouiller devant eux pour les adorer.

Peu après midi, le 9 juillet, une foule en furie déferla soudainement dans les rues. Le premier assaut éclair visa la résidence du patriarcat grec-orthodoxe. Aucun recoin du quartier n’échappa à la dévastation et au pillage. Les premiers incidents connus, Abd-el-Kader se précipita avec ses patrouilles, mais au lieu d’engager le combat contre les émeutiers, il chercha à mettre à l’abri le plus grand nombre possible de catholiques dans son palais et dans la citadelle avec les jésuites, les lazaristes, les Filles de la Charité et les élèves des écoles.

« Je suis chrétien et je mourrai chrétien »

Le supérieur du couvent du quartier de Bab Touma, le frère Emmanuel Ruiz, ne jugea pas nécessaire de se réfugier dans le palais de l’émir, comme l’avaient fait les autres religieux, car les murs du couvent étaient très solides et les portes d’accès à l’église et au cloître étaient protégées par de grandes plaques de fer. En effet, la tentative des insurgés de forcer l’entrée avait échoué. Derrière le couvent, il y avait une petite porte à laquelle personne n’avait pensé. Elle fut dénoncée à la foule par un traître, serviteur des franciscains et bénéficiaire de leurs bienfaits, et passé minuit, ils s’engouffrèrent dans le couvent en criant.

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Au moment de l’irruption, Manuel Ruiz, le gardien, se précipita dans l’église pour prendre le Saint-Sacrement et lorsqu’on lui ordonna de se convertir à l’islam sous peine de mort, il répondit : « Je suis chrétien et je mourrai chrétien ». Il fut alors assassiné sur l’autel.

Fêtes des saints martyrs de Damas, le 10 juillet dernier, au couvent franciscain de Bab Touma ©Paroisse latine de Damas

Furent également passés par le fil de l’épée six autres frères mineurs, un laïc autrichien Engelberto Kolland et les trois frères (de sang) Massabki, Francesco, Abd-el-Mooti et Raffaele, qui étaient maronites.

Les corps des onze martyrs furent placés dans un sous-sol du couvent, d’où ils furent retirés en 1861 pour être déposés dans deux cercueils et enterrés dans une tombe creusée dans le sol de l’église. Les fidèles ne tardèrent pas à les vénérer comme des martyrs et à obtenir des grâces et des miracles au contact de leurs reliques.

Béatification et canonisation

Au cours du procès canonique, un jeune grec-catholique témoigna sous serment : « Vers minuit, je vis une fois la cave où reposaient les corps des franciscains massacrés peu avant par les Turcs, tout illuminée. J’appelai alors Giorgio Cassar et son fils, eux aussi, comme moi, damascènes et chrétiens, ainsi qu’un musulman, qui dormait dans le couvent, et je leur demandai s’il y avait quelqu’un dans la cave et s’ils savaient l’origine de cette lumière… Comme ils me répondirent que non, nous prîmes les clés pour descendre tous les quatre. Dès que la porte s’ouvrit, une colonne de fumée s’éleva de la cave, dégageant une forte odeur d’encens. »

Les martyrs de Damas furent béatifiés par le pape Pie XI le 10 octobre 1926, et leur fête fut fixée au 10 juillet. L’annonce de leur canonisation le 22 octobre a été faite le 23 mai par le Saint-Siège. Nouvelle qui fut accueillie avec joie à Damas, où les préparatifs sont en cours pour la commémoration annuelle qui aura lieu le soir du 10 juillet. L’évêque latin d’Alep, Hanna Jallouf, et l’archevêque maronite de Damas, Samir Nassar, seront présents.

La cérémonie commémorative prévoit une messe, suivie d’une procession avec les reliques dans les rues du quartier chrétien, là même où des milliers de fidèles ont versé leur sang pour la foi. Le fr. Firas Lufti de la Custodie de Terre Sainte, gardien du monastère franciscain de Bab-Touma, espère pouvoir emmener une petite délégation de sa paroisse à Rome pour la canonisation.


Les noms des futurs saints

  • Manuel Ruiz, supérieur de la communauté, né à Santander le 5 mai 1804 (56 ans)
  • Carmelo Volta, né dans la province de Valence le 29 mai 1803 (57 ans)
  • Nicanor Ascanio, né dans la province de Madrid en 1814 (46 ans)
  • Pedro Soler, né à Murcie le 28 avril 1827 (33 ans)
  • Nicolás Alberca, né dans la province de Cordoue le 10 septembre 1830 (30 ans)
  • Francisco Pinazo, né dans la province de Valence le 24 août 1802 (58 ans)
  • Juan Jacobo Fernández, né en Galice (Espagne) le 29 juillet 1808 (52 ans).
  • Il y avait aussi l’Autrichien Engelberto Kolland, né à Salzbourg le 21 septembre 1827 (33 ans) et Francesco, Abd-el-Mooti et Raffaele Massabki.

Une joie pour les chrétiens de Syrie

La nouvelle, attendue avec impatience à Damas, a été accueillie avec « émotion et espoir », explique le frère Firas Lufti, supérieur du couvent franciscain de Bab-Touma, là où a eu lieu le martyre et où sont conservées les reliques des bienheureux. « Cette nouvelle, ajoute-t-il, arrive à un moment où tout le Moyen-Orient, y compris la Syrie, vit des moments dramatiques, à cause des conflits, des guerres et des crises qui sévissent dans la région. La sainteté est l’espérance d’un monde nouveau.

Malgré les horreurs du péché que l’homme est capable d’écrire, l’Histoire est écrite par Dieu, Seigneur de l’Histoire, et ses saints. La vie héroïque de ces martyrs, le don de soi pour les autres, sont un appel à la persévérance dans la foi, jusqu’au bout. Le sang des martyrs nous donne le courage et la force de rester. Je crois que notre présence ici, aujourd’hui, est un prolongement de ce que nos martyrs ont fait : accueillir et dialoguer avec tous ». M. Bandini

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