À côté des Églises traditionnelles de Jérusalem, on rencontre des courants comme l’Église de l’Alliance de Jérusalem. C’est la seule Église évangélique arabe de Jérusalem. Née en 1890, elle porte l’ambition d’être tournée à la fois vers Israël et vers les musulmans palestiniens. Rencontre avec Mazen Nasrwawi, son pasteur depuis 14 ans.
Quand et comment l’Église de l’Alliance a-t-elle été fondée ?
Nous faisons partie du Mouvement de l’Alliance Chrétienne. Ce mouvement s’est implanté en 1890 en Terre Sainte grâce à deux missionnaires. En 1914, nous avons eu nos premiers bureaux à l’ouest de la ville. Après la guerre de 1948, nous avons dû déménager et nous nous sommes installés dans le courant des années 50 dans le quartier chrétien de la Vieille ville de Jérusalem. Nous comptons actuellement en Vieille ville quelque 150 fidèles. Nous avons quatre autres lieux de culte de l’Alliance en Terre Sainte : un à Ramallah, un à Beit Jamal, un à Beit Sahour et un autre à Jérusalem.
Comment êtes-vous considérés dans la société israélo-palestinienne et quelles relations entretenez-vous avec les autres Églises chrétiennes ?
Nous essayons d’avoir les meilleures relations avec tout le monde. Notre mission est de servir et de répandre l’amour de Jésus. Nous faisons partie du Conseil des Églises évangéliques locales en Terre Sainte (Cisjordanie). Nous faisons également partie de la Convention des Églises évangéliques en Israël qui regroupe toutes les Églises évangéliques présentes en Israël. Nous sommes aussi au service des musulmans autant que possible.
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Nous faisons partie des Églises palestiniennes, même si vivre en Israël et faire partie intégrante de la communauté palestinienne n’est pas chose aisée. Nous entretenons également des relations avec nos frères juifs messianiques malgré notre conception différente de la Terre Sainte. Nous restons en communion avec eux. C’est une tâche très compliquée mais nous prions les uns pour les autres. Nous ne parlons pas de politique entre nous. Notre mission est de servir les arabes, la leur est de servir les juifs.
Qu’est-ce que le 7 octobre a changé dans la vie de votre Église ?
Cela a dégradé nos relations avec nos frères juifs messianiques. Ils défendent bec et ongles Israël. Certains d’entre eux soutiennent les actions du gouvernement israélien. Ils affirment que cela fait partie du plan de Dieu. C’est très dur à entendre pour nous en tant que Palestiniens. Depuis le 7 octobre, nos actions auprès de la société palestinienne ont été plus importantes. Nous aidons des travailleurs qui ont perdu leur permis de travail par exemple. Nous distribuons aussi de la nourriture à des familles en difficulté.
Que répondez-vous aux juifs messianiques lorsqu’ils avancent qu’il n’y a pas de place pour les Palestiniens sur cette terre ?
Je leur réponds en m’appuyant sur la Bible. Nous ne l’interprétons pas de la même manière. Je conçois que les juifs ont un rôle à jouer dans les plans de Dieu mais je crois qu’ils comprennent la Bible avec une focale politique. Pour moi, il est insensé de mettre le message de l’Ancien Testament, le message de Jésus et l’État d’Israël sur le même plan. Dieu a imaginé la terre d’Israël comme terre de paix. Selon moi, il est illogique d’utiliser le retour des juifs sur cette terre pour justifier tant de violence envers les non-juifs. Nous lisons les mêmes versets bibliques mais les comprenons de façon radicalement différente.
Qu’entendez-vous par « vous mettre au service des arabes » ?
Cela signifie faire corps avec eux, leur fournir de l’aide matérielle. Chaque fois que nous entrons dans une maison pour aider, nous en faisons l’occasion de parler de Dieu. Nous apportons également un soutien spirituel. Il nous arrive de prier avec les gens que nous aidons, même les musulmans. Chaque maison a besoin d’aide matérielle et spirituelle. Nous souhaitons également que chacun puisse entendre parler de Jésus, nous n’évangélisons pas seulement à l’intérieur des maisons mais nous invitons aussi nos voisins à des rencontres pour parler de la foi. Ils entendent parler de Jésus et ils font ensuite un choix libre en conscience.
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Comment gérez-vous les conversions ?
Nous aidons ceux qui veulent devenir chrétiens. Nous les assistons dans leur compréhension de la Bible. C’est notre rôle de les aider à prendre leur décision en connaissance de cause. Nous organisons par exemple des sessions d’études bibliques.
Quels mots utilisez-vous pour parler de votre foi aux musulmans ?
Nous leur expliquons que nous n’avons pas inventé l’idée de la Trinité. Nous lisons et interprétons le message biblique. Nous annonçons tout simplement ce que Dieu nous annonce. Libre à chacun de l’accepter ou de le rejeter.
Avez-vous déjà ressenti des tensions ou du rejet à votre égard ?
Non pas directement, mais des chrétiens convertis oui. Notre rôle consiste à annoncer le message divin, la conversion est une décision personnelle. Nous soutenons les convertis vis-à-vis de leurs familles. La plupart des musulmans convertis gardent leur foi chrétienne secrète. Ils ont peur de la réaction de leur famille. Ce n’est vraiment pas une décision facile.
Quelle est votre méthode d’évangélisation ?
Nous faisons le premier pas en nous mettant au service et en nouant des relations de confiance. Cela peut surprendre certains musulmans qui se demandent pourquoi nous faisons tout cela. Nous leur répondons que Dieu nous a chargés de cette mission. S’ils sont curieux, nous leur parlons plus en profondeur de notre foi. Nous n’évangélisons pas par la parole directement, nous voulons montrer l’exemple, le but est d’incarner l’amour du Christ. Nous sommes convaincus de l’universalité de son message.
Que dites-vous aux musulmans à propos du Coran et du prophète Mohammed ?
Nous croyons que Dieu met à profit certains contextes et certaines personnes pour propager son message. La Bible n’est pas incréée, Dieu utilise certaines situations bien précises pour s’adresser à nous. Les évangélistes sont guidés par l’Esprit Saint. C’est un dialogue indirect car Dieu adapte ses mots pour être compréhensible. De plus, la Bible contient 66 livres(1) qui entrent en cohérence dans l’Ancien et le Nouveau Testaments.
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La Bible est donc la preuve de la véracité de la Parole de Dieu. Nous ne croyons donc pas que le Coran soit d’inspiration divine. Lorsque je demande à des musulmans de m’indiquer ce que le Coran dit qui n’est pas déjà dit dans la Bible, qu’importe leur réponse, je peux trouver le message équivalent dans la Bible. Lorsque des musulmans me demandent ce que je pense de Mohammed je leur réponds qu’il est un leader politique.
Qu’est-ce qui touche les musulmans convertis dans la foi chrétienne ?
Ils sont émotionnellement touchés par l’amour. La plupart d’entre eux voient la façon dont nous traitons les autres. Nous leur expliquons que cela vient de notre foi. « Aime ton prochain comme toi-même », même si tu le tiens pour un ennemi. Une fois qu’ils ont compris cela nous parlons de dogme et de Trinité.
(1) 66 livres dans les Bibles protestantes, 73 dans la Bible catholique.
Memento
Récapitulatif des 13 Églises officielles de Terre Sainte
- Église catholique : 6 rites
- Catholiques romains : un patriarcat avec pour territoire : Chypre, Israël, Jordanie et Palestine.
- Grecs catholiques ou melkites : un patriarcat pour tout ce qui est au sud de Ramallah et une archéparchie pour tout ce qui est au nord de Ramallah ; une archéparchie distincte pour la Jordanie.
- Maronites : un archevêché avec pour territoire : Israël et Palestine ; un exarchat patriarcal distinct pour la Jordanie mais avec le même évêque que celui de Terre Sainte. L’archevêché de Chypre a sa propre juridiction et son évêque propre.
- Syriaques catholiques : un exarchat patriarcal pour Israël, Jordanie et Palestine.
- Arméniens catholiques : un exarchat patriarcal pour Israël, Jordanie et Palestine.
- Chaldéens : un exarchat patriarcal pour Israël, Jordanie et Palestine.
- Église orthodoxe : 5 rites
- Grecs orthodoxes : un patriarcat avec pour territoire : Israël, Jordanie et Palestine.
- Arméniens apostoliques : un patriarcat avec pour territoire : Israël, Jordanie et Palestine.
- Coptes orthodoxes : archidiocèse avec pour territoire : Israël, Jordanie et Palestine, mais aussi Koweït, Liban et Syrie.
- Syriaques orthodoxes : archevêché avec pour territoire : Israël, Jordanie et Palestine.
- Éthiopiens : archevêché avec pour territoire : Israël et Palestine.
- 2 Églises protestantes
- Anglicans : diocèse avec pour territoire : Israël, Jordanie, Liban, Palestine et Syrie.
- Luthériens : diocèse avec pour territoire : Israël, Jordanie et Palestine.
Reconnaissance palestinienne : les Églises évangéliques sont 14e ex aequo
En 2019, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas signait un décret reconnaissant officiellement toutes les Églises évangéliques de Palestine (une quinzaine !).
À l’instar des 13 Églises traditionnelles, les Églises du Conseil des Églises évangéliques locales en Terre Sainte peuvent accorder des contrats de mariage, ouvrir des comptes bancaires et acheter légalement des terres enregistrées à leur nom après avoir été approuvées et ratifiées par le Haut-Comité présidentiel pour les Affaires ecclésiastiques en Palestine, conformément à la législation en vigueur.