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Père Rafic le prêtre des frontières

Beatrice Guarrera
3 novembre 2017
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Père Rafic Nahra, nouveau vicaire patriarcal à Nazareth ©B.Guarrera/CTS


Nous avons rencontré le père Rafic Nahra nouveau coordinateur de la Pastorale des migrants et responsable des catholiques hébréophones dans l'Eglise latine de Jérusalem. Interview.


Au sein du Patriarcat latin de Jérusalem, le père Rafic Nahra s’est récemment vu confier la responsabilité de coordinateur de la pastorale des migrants, et celle de vicaire patriarcal pour les catholiques hébréophones (à la tête du Vicariat Saint-Jacques). Le prêtre, qui vit depuis des années à Jérusalem, succède au père David Neuhaus, qui a démissionné après 12 ans de service.

Depuis le 2 septembre dernier, il est coordinateur de la pastorale des migrants du diocèse latin de Jérusalem. Le 21 octobre, est arrivée l’approbation du Saint-Siège concernant sa nomination comme vicaire patriarcal pour les catholiques de langue hébraïque. Nous l’avons rencontré pour connaître son histoire et en savoir plus sur sa nouvelle mission.

Père Rafic, vous attendiez-vous à cette double charge ?

Non, parce que je n’avais pas prévu la démission du père David. Ceux qui connaissent le père David savent qu’il a travaillé nuit et jour et qu’il a donc démissionné à cause de cette fatigue accumulée. Sachant combien est lourde cette double mission, je vais essayer de trouver les soutiens nécessaires pour pouvoir continuer.

Ces deux responsabilités vont-elles toujours de pair ?

Non, elles sont différentes, mais le lien entre les deux est né du fait que nous avons commencé à travailler avec les enfants des migrants, qui fréquentent les écoles israéliennes, parlent l’hébreu et ont une mentalité d’enfants israéliens. Leurs parents travaillent, en particulier leurs mères, et ont besoin de soutien. A Jérusalem, une mère philippine est venu à nous il y a trois ans et nous a dit : « Mes trois enfants quittent l’école à 15h, et je travaille jusqu’à 18h. Pourriez-vous s’il vous plaît allez les chercher à l’école et je viendrai ensuite les chercher à 18h ? » Nous avons accepté et… tout a commencé. Une demande similaire est arrivée de la part d’une deuxième famille, puis d’une autre encore. C’est ainsi que s’est développé le projet.

Le travail pour les migrants ne se résume pas seulement aux enfants mais concerne tout le monde. Presque tous les migrants vivent dans la société israélienne. Il est donc nécessaire que les pasteurs qui travaillent avec eux connaissent la société israélienne, les coutumes, la mentalité. Il est important que nous sachions communiquer. C’est pourquoi de nombreux prêtres du Vicariat Saint-Jacques aident les migrants.

Les deux missions ont-elles une histoire récente ?

La coordination de la pastorale des migrants a quelques années. Le premier responsable a été le père David. Le Vicariat Saint-Jacques pour les catholiques hébréophones a lui une histoire qui remonte à une soixantaine d’années. Tout a commencé avec les couples mixtes qui vivaient en Israël : l’un des conjoints était Juif, l’autre chrétien. Dans le même temps, des religieux, des religieuses et des volontaires sont également arrivés. Tout a donc commencé avec une œuvre, l’œuvre Saint-Jacques, qui avait ses propres statuts. Les premiers religieux ont ainsi commencé à traduire les prières en hébreu. Aujourd’hui encore, nous avons le missel  complet dans la version hébraïque. L’histoire du Vicariat Saint-Jacques est née de cette manière et s’est ensuite développée au fil des ans.

Et vous, comment vous êtes-vous rapproché du Vicariat Saint-Jacques ?

Je suis venu à Jérusalem la première fois en 1993 : c’était un séjour de huit mois pour étudier et pour visiter la Terre Sainte. Je vivais chez les Jésuites et j’étudiais chez les Dominicains. J’ai eu quelques contacts avec les communautés des chrétiens d’expression hébraïque. Je connaissais déjà la situation au Moyen-Orient, l’hostilité et l’ignorance mutuelles. J’ai été très touché par cela en tant que prêtre et j’ai ressenti le besoin de faire quelque chose. Je ne me suis jamais intéressé à la politique, mais du point de vue humain et chrétien, j’ai rencontré des gens et nourri des amitiés dans le pays, ce qui a participé à faire mûrir en moi le désir de revenir. Je voulais rapprocher les gens entre eux : les chrétiens avec les juifs et les chrétiens arabophones avec les chrétiens hébréophones.

J’ai été nommé il y a trois ans comme prêtre de la communauté de Jérusalem et l’une des premières choses que j’ai proposées était d’aller plusieurs fois par an rendre visite aux églises arabes. Nous l’avons fait et les Arabes nous ont très bien accueillis.

Je n’ai pas imaginé immédiatement que tout irait mieux, mais il fallait se rapprocher petit à petit. La difficulté à communiquer entre les chrétiens de part et d’autre n’est pas essentiellement de nature politique mais elle est un problème linguistique et de différence culturelle. On ne parle la même langue et tout le monde ne parle pas anglais. Le travail du pasteur est de donner l’exemple : ceux qui servent d’un côté et ceux qui servent de l’autre doivent aider les fidèles à vivre ensemble. Nous sommes tous chrétiens et la politique ne doit pas toucher cet aspect.

Après avoir été en Terre Sainte pour la première fois, comment avez-vous concrétisé votre rêve d’y revenir ?

Quand j’étais prêtre à Paris, j’ai parlé au cardinal Jean-Marie Lustiger, qui était mon archevêque, de mon désir de revenir. Il m’a expliqué le besoin de cadrer mon parcours dans une mission très précise. Je me suis donc rendu disponible pour m’investir dans des projets qui concernaient les rapports entre juifs et chrétiens. Je suis retourné à Jérusalem pour suivre un Master en pensée juive, après quoi j’ai poursuivi un doctorat en littérature judéo-arabe. En venant en Terre Sainte, j’ai aidé là où il y avait besoin. Pendant deux ans, ici à Jérusalem, j’ai aidé des enfants palestiniens à étudier dans la vieille ville à l’Institut des Frères des écoles chrétiennes. J’ai aussi célébré la messe maronite dans l’église maronite de Jérusalem (étant moi-même maronite d’origine). J’ai ensuite commencé à travailler à la kehillà de Jérusalem, d’abord en traduisant les prières, puis en célébrant la messe tous les jours. Il y a trois ans, je suis devenu responsable de la kehillà, alors composée d’environ quatre-vingts personnes… une communauté aussi diverse que l’est Jérusalem.

Quelles sont les difficultés des chrétiens d’expression hébraïque en Israël et que voudriez-vous faire pour eux ?

Etre chrétien et vivre dans la société israélienne n’est pas un problème en soi. Il y a des difficultés, mais il est possible de s’intégrer dans la société si l’on a la force et le courage.

L’une des choses importantes à poursuivre est le travail avec les jeunes. Nous avons un groupe qui a déjà participé aux Journées Mondiales de la Jeunesse et qui se réunit tous les mois. Parmi les jeunes, nous avons déjà les plus grands et les plus petits. Nous voulons les former et les aider à trouver une identité forte, car quand il s’agit d’une minorité, c’est facile de perdre son identité propre. La société israélienne est très laïque. Nous éprouvons donc les mêmes difficultés que nous avons en Europe : la laïcité est une tentation très forte. La laïcité au sens de vivre sans trouver de place pour Dieu dans notre vie. Au contraire, nous aimerions fortifier les relations entre ces jeunes, les former en tant que chrétiens et nous assurer qu’à l’avenir ils s’engageront dans des paroisses. Mais c’est un long chemin.

Les jeunes de nos communautés doivent être soutenus même lorsqu’ils doivent faire le service militaire. C’est un passage très délicat et nous avons à cœur de les aider à rester chrétiens et à vivre comme tels. C’est une grande responsabilité. Les jeunes Israéliens sont obligés de faire leur service militaire, on ne peut pas leur demander de sortir de la société. Nous devons rester à leurs côtés pour qu’ils ne perdent pas la foi. Nous devons laisser la politique hors de notre action : nous voulons aider nos jeunes à être de véritables chrétiens tout en vivant dans la société israélienne.

Le travail auprès des enfants des migrants doit également continuer. Aujourd’hui, ils sont en Israël et peut-être que beaucoup d’entre eux décideront de rester.

Le dialogue interreligieux doit être développé, comme c’est déjà le cas. Nous avons deux projets à Jérusalem et dans d’autres paroisses, il y a des initiatives similaires. Nous fréquentons un groupe très ouvert de juifs qui viennent étudier avec nous la Torah. Par ailleurs, nous avons un groupe caritatif comprenant des juifs, des musulmans et des chrétiens : nous récoltons des vêtements usagés et les donnons aux pauvres. La charité n’a pas de religion. Ce projet peut aider à faire comprendre qu’il n’y a pas que des problèmes politiques. Nous pouvons faire des choses ensemble. Tout ne se termine pas par « je suis chrétien », « je suis musulman », « je suis juif ». Nous pouvons faire des choses ensemble et ce projet en est la preuve.

Comment fonctionnera la coordination de la pastorale des migrants ?

Les plus grandes communautés de migrants en Israël est celle des Philippins, mais il y a aussi beaucoup d’Indiens, de Sri Lankais, d’Erythréens, d’Ethiopiens, de Polonais et d’autres encore. Par le passé, j’ai travaillé avec des enfants de migrants et maintenant je vais devoir découvrir toutes les différentes communautés. Je les visiterai une à une, je participerai aux célébrations et tâcherai de connaître leurs problèmes. Mon travail ne sera pas d’être curé à la place des curés ; mais je serai un coordonnateur qui les aidera à faire l’unité et à créer un lien avec la société israélienne.

J’aurai une équipe qui me soutiendra dans ce travail, afin de créer aussi un lien avec l’Église locale.

Vous avez émigré à Paris et avez voyagé dans de nombreux pays. Votre expérience personnelle peut-elle vous aider dans votre relation avec les migrants ?

Oui, je suis arrivé à Paris à 20 ans, j’ai vécu dans des lieux divers et il y a au sein de ma famille des chrétiens orthodoxes, des maronites, des protestants. Je suis revenu à la foi avec les protestants, je suis maronite et j’ai été ordonné prêtre latin. Les frontières m’attirent, je suis comme ça. Je me suis toujours senti bien aux frontières et la vie m’a ensuite conduit ici. En 1993, je suis arrivé sans attendre quoi que ce soit. Et puis cette découverte de l’ignorance mutuelle et de la haine entre les gens m’a profondément touché. A partir de là, tout a changé.

Pourquoi les chrétiens devraient-ils soutenir l’accueil des migrants ?

Dans la Bible, il en est ainsi : même le peuple juif a une expérience qui devrait l’aider à comprendre. Ils ont été étrangers (migrants) en Egypte et ont beaucoup souffert. Le Seigneur les a libérés. C’est celle-là même l’expérience fondatrice du peuple d’Israël : ils étaient esclaves et ont été libérés par Dieu pour rester libres. Dieu leur a donné la Loi de vie et une route. Plusieurs fois dans la Bible, le Seigneur dit à son peuple d’être bon avec les migrants : « Rappelez-vous que vous étiez des étrangers en Egypte. » Jésus lui-même dit dans l’Évangile : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli ».

Jésus a ouvert les frontières. La façon dont nous sommes organisés aujourd’hui, avec les identités, les nations, les frontières, n’est pas un critère définitif pour regarder le monde. La peur des gens est compréhensible, mais lorsqu’un étranger vient frapper à la porte, nous ne pouvons pas lui dire : « Tu appartiens à la catégorie de ceux qui sont un danger. » Si nous rencontrons les pauvres, Jésus nous dit de les aider.

Travailler avec les migrants consiste donc à les soutenir, sans être naïfs. Les médias insistent beaucoup sur les étrangers qui créent des problèmes, mais il y a aussi des locaux qui génèrent des problèmes. Nous devons dire la vérité : dans tous les pays, on a besoin des migrants parce qu’ils se font payer peu et font des travaux que personne d’autre ne réalise . Les regarder comme s’ils étaient un problème n’est pas juste. Ils vivent déjà dans des conditions difficiles : ils ne parlent pas la langue, ils n’ont pas d’assurance médicale, ils n’ont pas de travail. En tant que chrétiens, le Pape nous invite à ouvrir les portes et à les aider.

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Le père Rafic, né en 1959 en Egypte au sein d’une famille libanaise, a émigré à l’âge de 20 ans à Paris, où il a travaillé comme ingénieur et est rentré au séminaire diocésain. Il a continué ses études théologiques à Rome et a été ordonné prêtre dans la capitale française le 27 juin 1992. Un séjour d’études à Jérusalem l’a conduit à se lier à la Terre Sainte, où il s’est aussi inséré dans la communauté catholique d’expression hébraïque. En Israël, il a terminé un Master en pensée juive et a obtenu un doctorat en littérature judéo-arabe. Depuis 3 ans, il est responsable de la kehillà catholique hébréophone de Jérusalem.

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