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À Al-Makhrour, le combat d’une famille chrétienne contre la colonisation

Cécile Lemoine
30 septembre 2024
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La famille Kisiya construit une petite église en bois face à la colline où leur terre a été saisie par l'armée, le 29/09/2024 ©Cécile Lemoine/TSM

La famille Kisiya se bat depuis 12 ans pour justifier la propriété de ses terres dans la vallée de Makhrour à Bethléem. Le 31 juillet, un ordre d'expulsion les a mis dehors et des colons se sont installés. Ces chrétiens franco-palestiniens ont depuis recours à la résistance non-violente pour faire valoir leurs droits.


Quelques coups de marteau et la croix se dresse face à la vallée, dans la lumière dorée d’un soleil qui s’éclipse derrière les collines. Quelques planches de bois, des icônes, des crucifix… L’église de fortune construite par la famille Kisiya ce dimanche 29 septembre sur les pentes de Beit Jala, commune voisine de Bethléem, est une affirmation : « Nous ne partirons pas. »

Le 31 juillet, ces chrétiens franco-palestiniens ont vu des colons, aidés par l’armée israélienne, confisquer le terrain et en faire une « zone militaire fermée », malgré les documents officiels prouvant qu’ils possèdent le terrain. Les Kisiya y avaient construit en 2001 un restaurant qui dominait la verdoyante vallée d’al-Makhrour, ce « pays d’olives et de vignes », classée au Patrimoine mondial de l’Unesco en 2014.

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Situé en zone C de la Cisjordanie occupée, contrôlée militairement par l’Etat israélien qui refuse d’y distribuer des permis de construire pour les Palestiniens, le restaurant est détruit et reconstruit quatre fois, en 2012, 2013, 2015 et 2019.

Sur la tente qui accueille les activistes, un panneau montre à quoi ressemblait le restaurant des Kisiya avant sa destruction en 2019 ©Wisam Hashlamoun/Flash90

Depuis 2017, la propriété du terrain est également contestée. Le KKL-JNF (le Fonds national juif israélien), par l’intermédiaire de sa filiale Himanuta, affirme en être propriétaire avec un document de propriété datant de 1969. En 2020, l’ONG israélienne Peace Now a révélé que le Fonds National Juif avait secrètement dépensé des dizaines de millions de shekels pour acheter des terres en Cisjordanie, au profit de l’extension de la colonisation. Les Kisiya nient avoir vendu leur parcelle.

Vallée chrétienne

L’affaire, portée devant la justice israélienne, s’est conclue en 2023, quand une cour israélienne a reconnu que la famille chrétienne était bien propriétaire. « Mon âme est liée à cette terre, j’y ai tous mes souvenirs d’enfance », emphase Alice Kisiya, vingtenaire déterminée, qui, depuis fin juillet, met toutes ses forces dans une campagne de protestation contre leur expropriation. Une tente a été dressée sur les coteaux de Beit Jala, pour accueillir les activistes étrangers et israéliens qui viennent à la fois pour faire tampon avec l’armée et pour montrer leur soutien.

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L’activisme de Michelle Kasiya et de sa fille Alice leur valent d’être arrêtées le 25 août. Elles sont relâchées le jour suivant. La tente est détruite début septembre par l’armée. « Ils veulent nous chasser. La zone est stratégique pour eux. Ils pourront relier leurs colonies et nous séparer des autres Palestiniens », dénonce Michelle Kisyia. Une pratique largement documentée par l’ONG israélienne « Peace Now ».

Une fois l’église édifiée, une prière inter-religieuse y est organisée ©Cécile Lemoine/TSM

Autour de l’église, la famille s’affaire avant le début d’une prière inter-religieuse. Son édification est un pied de nez à l’occupation, autant qu’un message pour le monde : « Il y avait une besoin d’une église dans cette vallée pour rappeler qu’elle était historiquement peuplée de chrétiens, explique Michelle Kisiya. Si nous partons, il n’y aura plus de chrétiens ici. »

« Notre existence, c’est notre résistance »

Pour le pasteur luthérien palestinien Munther Isaac, qui a fait le déplacement, c’est la présence chrétienne qui est en jeu à al-Makhrour : « L’histoire de la famille Kisyia n’est pas différente de celles des autres palestiniens, et de nombreuses familles chrétiennes », lance-t-il en s’adressant à la petite foule composée d’une trentaine de juifs, chrétiens et musulmans. « Nous ne sommes pas ici pour une famille, mais pour bien plus : pour al-Makhrour, pour notre présence en tant que chrétiens… Notre existence, c’est notre résistance. Notre arme, c’est notre foi. En faisant le choix de rester, nous gagnons. »

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L’armée qui patrouille autour du petit rassemblement donne la consigne de déconstruire l’église pour le lendemain matin. « On ne le fera pas. Ils ne pourront rien faire. Abattre une croix serait du plus mauvais effet pour eux », lance Michelle Kasyia, bravache. Sa fille, Alice, cherche des volontaires pour y passer la nuit, et participer à la marche du 1er octobre. C’est à cette date que l’ordre de fermeture militaire qui condamne leur terrain prend fin. « On espère bien pouvoir y faire la prochaine prière », sourit Alice.

L’armée israélienne monte la garde pendant que des Palestiniens et des activistes protestent contre un avant-poste illégal sur les terres d’Al-Makhrour, près de Bethléem, en Cisjordanie, le 3 septembre 2024, © Wisam Hashlamoun/Flash90

Sur les collines classées au Patrimoine de l’UNESCO, le spectre de la colonisation s’étend. Le 7 août, Bezalel Smotrich, le suprémaciste ministre des finances à la tête de l’administration des colonies en Cisjordanie, annonce autoriser la création d’une nouvelle colonie, Nahal Haletz, dans cette zone classée au patrimoine de l’Unesco. Une mesure qui fait office de représailles à la reconnaissance unilatérale de l’Etat de Palestine par l’Espagne, l’Irlande, la Norvège et la Slovénie, affirme le ministre dans une déclaration sur X.

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