Retour sur la visite chez le pape, du patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem qui s’est exprimé au nom de toutes les Eglises chrétiennes de Terre Sainte. Une initiative des plus œcuméniques qui soit.
Cela n’a échappé à personne. Les discours du pape et du patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem ont été – lundi 23 octobre 2017 au Vatican – un signe fort des progrès réalisés ces dernières années dans le dialogue œcuménique en Terre Sainte. La vie quotidienne et concrète des communautés chrétiennes en Israël et Palestine a grandement contribué à l’amélioration des relations et à ce qu’on pourrait appeler – non pas un « œcuménisme du sang » auquel fait souvent référence le pape pour les chrétiens d’Irak, de Syrie ou d’Egypte, mais – à un œcuménisme de la résistance. Pour défendre les droits historiques des communautés chrétiennes.
Autrement dit, s’unir pour mieux résister. S’unir pour mieux exister. S’unir pour mieux peser sur le destin de la Terre Sainte et contribuer à l’équilibre de sa société. Et c’est bien dans cette perspective que le patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem s’est rendu au Vatican en début de semaine pour rencontrer le pape. Dans son discours à l’endroit du Saint-Père (en intégralité ici en anglais), il annonce très clairement qu’il ne s’est pas rendu à Rome en sa « qualité de Patriarche d’une seule Eglise », mais comme il le dit « au nom de tous les chefs des Eglises et des communautés chrétiennes de Terre Sainte. »
De fait, face à « une tentative de changer les dispositions et l’esprit du statu quo historique et de l’équilibre délicat qui doit exister, si la Terre Sainte doit être maintenue dans son intégrité », le patriarche a expliqué que les Eglises de Jérusalem sont « pleinement unies » pour s’y opposer. Pour preuve, en septembre dernier les 13 Eglises chrétiennes de Jérusalem ont sèchement condamné dans un communiqué conjoint les tentatives « systématiques » d’Israël « d’affaiblir la présence chrétienne » à Jérusalem. Elles avaient manifesté en juillet dans une première déclaration commune leur « sérieuse préoccupation » quant aux tensions qui régnaient au sujet de l’Esplanade des Mosquées. Les Eglises avaient alors appelé au respect du statu quo – ensemble des principes régissant les Lieux Saints dans la Vieille Ville de Jérusalem. Cet « état des choses » a été mis en place en Terre Sainte afin de faire respecter les croyances des juifs, des chrétiens et des musulmans, car tous prétendent avoir une base historique et religieuse à Jérusalem. Ce statu quo participe donc entre autres à organiser la manière dont les chrétiens vivent aux côtés des juifs et des musulmans à Jérusalem et en Terre Sainte.
Ainsi, au-delà des récents contentieux immobiliers qui touchent l’Eglise grecque-orthodoxe de Jérusalem – de fait, la question de la protection du patrimoine chrétien a à voir avec l’avenir de la ville sainte et celui de tous les chrétiens sur place – le patriarche Theophilos III a voulu avertir le Saint-Père sur deux points d’actualités brûlants qui rendent la situation « profondément troublante en Terre Sainte où les droits historiques de la communauté chrétienne sont mis à mal. » a-t-il lu lors de son discours.
Le premier point concerne un projet de loi (le Bill of Church Lands) à la Knesset (le parlement israélien), proposé par la député centriste Rachel Azaria (du parti Koulanou), et signé en juillet par déjà 40 membres de la Knesset. Cette proposition entraverait sérieusement les droits des Eglises sur leurs propres propriétés et nationaliserait les terres appartenant aux Eglises à Jérusalem-Ouest, dont beaucoup ont été récemment vendues à des entrepreneurs privés. Si le texte était adopté en l’état, il « modifierait fondamentalement les droits des Eglises sur leurs terres et leurs biens » alerte le patriarche. « Il empiéterait, a-t-il dit, sur les protections historiques et juridiques qui ont permis depuis des siècles de maintenir notre société multiculturelle, multiethnique et multireligieuse et ce, sans contestation par les autorités gouvernementales qui se sont succédé dans notre région. »
Le deuxième point d’alerte renvoie à une décision de justice récente (août 2017) stipulant le caractère valide de la vente en 2004 (sous le patriarche grec-orthodoxe Irénée Ier) de trois propriétés chrétiennes sises Porte de Jaffa dans la vieille ville de Jérusalem. Le patriarche Theophilos III, engagé dans une procédure d’appel, s’est levé contre ce jugement qu’il a qualifié devant le pape en début de semaine comme « infondé et injuste » au prétexte que la vente s’est réalisée de manière frauduleuse. Selon lui, cette décision de justice est donc un « affront direct à l’intégrité de la ville sainte.» Pour mémoire, la vente a été faite au profit d’Ateret Cohanim, une association israélienne qui œuvre pour la colonisation de Jérusalem-Est englobant la vieille ville de Jérusalem
Au titre de ces deux menaces qui pèsent sur « la présence chrétienne dans la ville sainte en particulier, et en Terre Sainte en général », le patriarche n’a pas caché son inquiétude au Pape argentin. Se tournant vers le pape, il lui a donc demandé ainsi qu’à « tous ceux qui aiment Jérusalem et la Terre Sainte, et à toutes les personnes de bonne volonté, partout dans le monde » de l’aide pour demander l’annulation de la décision du tribunal et de l’initiative législative en lecture à la Knesset. Ce soutien demandé et ardemment attendu permettrait selon Theophilos III « de donner ainsi un message clair de soutien international à la présence chrétienne en Terre Sainte et au Moyen-Orient au sens large. »
Sur la même longueur d’onde
Il va sans dire que le discours du pape en ce sens a été très explicite. Pour rappel, le souverain pontife s’est placé sur la même longueur d’onde que le patriarche. Appelant au respect du statu quo dans la Ville Sainte et à « la pleine unité » des chrétiens de la région, le Pape François a invité les Eglises à surmonter les difficultés de leurs divisions et leurs blessures passées, afin que les chrétiens ne se trouvent pas en situation de devoir quitter leur terre. Au micro de Radio Vatican, le Custode de Terre Sainte, Fr. Francesco Patton a d’ailleurs réagi très positivement sur la prise de position du pape lors de sa rencontre avec Theophilos III. Estimant le discours du pape « vraiment très important » pour la Terre Sainte, le Custode a particulièrement apprécié et mis en exergue les propos que le souverain pontife a tenu en souhaitant que les membres des communautés chrétiennes « soient toujours reconnus comme faisant partie intégrante de la société.» Le pape a aussi souhaité, rappelle le Custode, que ces derniers « en tant que citoyens et croyants de plein droit (…) apportent, sans jamais se lasser, leur propre contribution au bien commun et pour la construction de la paix.»
Pour Fr. Francesco Patton, ces propos ont un double enjeu. D’une part, parce que les chrétiens forment en Terre Sainte une minorité (2% de la population) et que de ce fait « il y a une tendance, déplore-t-il, à être sous-estimés ou une autre tendance de la part de ces communautés chrétiens à s’autocensurer ou à ne pas s’exposer. Alors qu’il est fondamental que soit reconnue avant tout, de la part de ces mêmes chrétiens, la valeur de leur présence ici en terre Sainte », a-t-il ajouté. D’autre part, le Custode affirme qu’il est tout autant important qu’il y ait au sein de la société « une reconnaissance de la contribution qu’apportent les chrétiens à la vie de cette terre. »
Theophilos III n’en a pas fini de sa tournée internationale pour mobiliser les forces en faveur de la préservation du statu quo en Terre Sainte et de la préservation de la présence chrétienne en Terre Sainte. Le 29 octobre, il s’entretiendra avec le Premier ministre grec Alexis Tsipras à Athènes. Il se rendra ensuite au Royaume-Uni du 31 octobre au 3 novembre où il rencontrera l’archevêque catholique de Westminster, Mgr Vincent Nichols et l’Archevêque anglican de Canterbury, primat de l’Église d’Angleterre, Mgr Justin Welby ainsi que des politiciens britanniques.
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