Yonatan Zeigen, orphelin du 7-Octobre mais voix de la paix
Il est devenu un hyper actif de la paix. Pourtant, le 7-Octobre, Yonatan Zeigen a perdu sa mère, Vivian Silver, grande figure des mouvements pacifiste et féministe en Israël. Des combattants du Hamas l’ont tué chez elle, au kibboutz Be’eri. Son corps a été calciné au point qu’il a fallu plus de cinq semaines à la police pour identifier son ADN dans les décombres.
Du jour au lendemain, Yonatan a démissionné. Impossible, pour cet assistant social et père de trois enfants basé à Haïfa, de retourner à sa vie d’avant. “Il y a eu un effet avant-après. Le 7-Octobre m’a réveillé de ce que j’appelle mon coma politique. Ces dernières années, j’ai vécu dans l’illusion que nous pouvions mener une vie normale dans un endroit où la vie elle-même n’est pas tenable”, raconte Yonatan. Élevé dans un milieu ouvert et universaliste, il confie que c’est la vie, son travail, sa famille, qui l’ont progressivement éloigné des engagements politiques de sa vingtaine.
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“Ce jour-là, alors que ma mère se faisait assassiner à l’autre bout du fil, j’ai fait face à ma propre impuissance. J’ai ressenti un besoin, une envie de m’investir ainsi qu’une responsabilité de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour promouvoir le changement.” Depuis, Yonatan Zeigen a rejoint le Cercle des Parents endeuillés, et contribue à tous les panels, conférences, initiatives de dialogue et de plaidoyer, autant en Israël qu’à l’étranger.
Un autre narratif
Une boulimie d’activisme qu’il vit comme un remède, comme une nécessité. “Il fallait que j’utilise ma voix, expose l’activiste. C’est aussi une manière de créer une connexion avec la grande dame qu’était ma mère, de continuer à faire vivre ses combats, afin qu’elle devienne une “victime de la paix”. Je veux que sa mort puisse être utile à créer une réalité qui ne soit plus celle de la vengeance. Je veux pousser un autre narratif que celui du conflit permanent.”
En hommage à sa mère, et pour que son héritage perdure, Yonatan Zeigen a créé le prix Vivian Silver Impact, qui sera décerné chaque année à des femmes israéliennes et palestiniennes engagées pour la réconciliation. Pour sa première édition, le 21 novembre dernier, le prix a récompensé la chrétienne palestinienne Dr Rula Hardal et la juive israélienne May Pundak, co-directrices de l’organisation « A Land for All ».
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“Les activistes n’obtiennent aucune reconnaissance en Israël, déplore Yonatan Zeigen. Ils sont marginalisés, réduits au silence, parfois violemment. On voulait valider leur engagement, secouer le discours ambiant et célébrer les gens qui se battent pour la paix.”
Processus de paix parallèle
En rejoignant la minorité militante, Yonatan dit avoir découvert un univers actif et dynamique, mais reconnaît une forme de “solitude”, dans une société animée par un fort désir de revanche où les initiatives citoyennes ne trouvent pas de relais à l’échelle politique. “Nos hommes politiques ont créé un récit du conflit qui fait de l’occupation un impératif, alors qu’elle est la base de notre insécurité. À Gaza, on a tué des dizaines de milliers de gens, créé une crise humanitaire, et commis des crimes de guerre sans que cela nous rapproche de la sécurité, ou d’un calme durable. Au contraire, on a créé suffisamment de peur et de haine pour les générations à venir. Aujourd’hui ces idées sont très impopulaires et personne ne les porte dans un programme politique car il n’y a pas d’électorat”, constate le fils de Vivian Silver.
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Yonatan Zeigen ne regrette rien de son changement de vie. “Jusqu’ici, l’expérience a été extraordinaire. J’ai rencontré des personnes incroyables. C’est exaltant, ça a du sens. J’ai besoin de faire partie de ce clash contre les idées dominantes, même si cela reste un défi”, reconnaît le militant qui affirme ne pas vouloir devenir un “employé du camp de la paix”. “Certains travaillent dans cette industrie de la paix depuis 60 ans. J’agis aujourd’hui pour que de cette catastrophe naisse une phase condensée de laquelle nous sortirons différents.”
En coulisse, l’ancien assistant social travaille à ce qu’il appelle un “processus de paix parallèle”. Un nouvel accord, formulé en commun par des Israéliens et des Palestiniens, et applicable dès que des chefs politiques auraient la volonté de s’en saisir. Yonatan conclut : “Le 7-Octobre n’a pas changé ma façon de penser, mais ma façon de vivre.”