Alors que le nombre de victimes vient de dépasser les 46 000 à Gaza, une étude publiée le 9 janvier dans The Lancet, fleuron de l’édition scientifique et médicale, estime que ce chiffre serait largement sous évalué.
« Il y a un fait récurrent, quand on fait des estimations de mortalité dans des zones en conflit : le taux de mortalité officiel est toujours sous-estimé, raconte Francesco Checchi, épidémiologiste à la London School et co-auteur de l’étude. On a fait l’hypothèse que ça serait aussi le cas pour Gaza. Alors qu’on entendait tout et son contraire en matière de chiffres, on a voulu mettre un peu d’ordre et de méthodologie. »
L’équipe, composée de cinq chercheurs et menée par Zeina Jamaluddine docteure de la Faculté d’épidémiologie et de santé de la population à la London School, s’est concentrée sur les neuf premiers mois de la guerre à guerre : au 30 juin 2024, le ministère de la Santé faisait état de 37 877 décès, dont 28 185 avaient été identifiés.
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Selon une méthodologie de « capture-recapture » bien établie dans le domaine, ils ont combiné et recoupé trois listes de données : les listes officielles transmises par les hôpitaux, une enquête du ministère de la Santé et des nécrologies sur les réseaux sociaux.
Estimation finale : il y aurait eu entre 55 298 et 78 525 décès dus à des blessures traumatiques à Gaza à cette époque, la meilleure estimation tablant autour 64 000 morts, soit 41% de plus que le ministère de la Santé. Ce bilan représente 2,9% de la population de Gaza d’avant-guerre. Parmi les victimes, 59% sont des femmes, des enfants et des personnes âgées.
Pour Israël, des chiffres exagérés
Il y a 4 mois, le bilan s’élevait à 41 909 victimes, « En supposant que le niveau de sous-déclaration de 41 % se soit maintenu, il est plausible que le chiffre réel dépasse désormais 70 000« , juge Francesco Checchi, en soulignant que leur chiffre ne prenait pas en compte les morts indirectes, celles causées par la malnutrition, le froid, les maladies chroniques…
Israël a mis en doute à plusieurs reprises la crédibilité des chiffres du ministère de la Santé de Gaza, en affirmant qu’ils étaient exagérés. L’ONU a maintenu qu’ils étaient fiables tout au long de la guerre. Dans une interview avec le site Dropsitenews en septembre dernier, le Dr Zaher al-Wahaidi, directeur du centre d’information du ministère de la Santé à Gaza (HIC) est revenu sur la manière dont était comptabilisés les décès.
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Jusqu’au 10 novembre, le système fonctionnait normalement : le personnel collectait les données transmises par les hôpitaux de Gaza, et alimentait un système central, ce qui lui permettait de croiser ces informations avec le registre de la population. Ce système s’est avéré fiable lors des conflits passés, produisant des chiffres qui concordent avec les estimations ultérieures de l’ONU, et même de l’armée israélienne.
Les chiffres du ministère de la Santé : un minimum
Les 10 et 11 novembre, un raid israélien sur les hopitaux de Al Shifa et Al Rantisi, où sont hébergés les centres de données a provoqué une panne complète du système d’information sanitaire. « L’ensemble du système s’est effondré », raconte le Dr Zaher al-Wahaidi dans l’entretien. « Nous avons donc dû recourir à une documentation manuelle, alors que des massacres étaient en cours, et que certains hôpitaux ont reçu jusqu’à 700 martyrs. »
Le résultat a été une détérioration massive de la qualité des données. Fin octobre, seulement 4 % des décès n’étaient pas identifiés. Fin mars, ce chiffre était de 46 %. Au cours des derniers mois, le HIC a reconstruit l’ensemble du système à partir de zéro. Tous les principaux hôpitaux de Gaza sont désormais reliés, à l’exception de ceux du sud, qui sont devenus inutilisables.
« Notre analyse confirme l’exactitude des chiffres de mortalité communiqués par le ministère de la Santé, mais suggère qu’ils doivent être considérés comme une estimation minimale sujette à une sous-estimation considérable », affirment les chercheurs, dont l’étude a été relue par huit pairs anonymes. selon les exigences en vigueur pour une publication dans The Lancet. « C’est exceptionnel, explique Francesco Checchi, pour d’autres journaux, deux ou trois relectures suffisent.«
Une lettre d’opinion, publiée en juillet 2024 dans la même revue avançait que, toutes causes confondues, le nombre de morts à Gaza pourrait être de 186 000. L’équipe de Zeina Jamaluddine estime que les facteurs de multiplication appliqués sont inappropriés.