Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Lait et miel en abondance

Par Claire Burkel, Enseignante à l’École Cathédrale-Paris
17 décembre 2024
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Réminiscence biblique Même la très laïque Tel Aviv se souvient que le pays est celui où coule le miel ! ©Miriam Alster/Flash90

Le seul mot de fruit évoque dans toutes les langues fécondité, gratuité, générosité de la nature. Notre terme français vient du latin fructus, mais bien avant, du radical hébreu pr ou fr. De là le nom donné au fleuve Euphrate “qui fait porter fruit”.


L’expression du “pays qui ruisselle de lait et de miel” se trouve plus de vingt fois dans l’Ancien Testament, alors que la simple observation de ce territoire montre plutôt un pays sec, peu arrosé et difficile à cultiver.

Par de belles images cette profusion est donnée : “Les envoyés coupèrent un sarment et une grappe de raisin qu’ils emportèrent à deux sur une perche, ainsi que des grenades et des figues” -Nb 13, 23- lorsque des Hébreux sont envoyés par Moïse en reconnaissance sur la richesse ou non de la Terre qui leur est promise.

“Le Seigneur te bénira, te multipliera, il bénira le fruit de ton sein et le fruit de ton sol, ton vin nouveau, ton huile, la portée de tes vaches et le croît de tes brebis” assure Dt 7, 13 avant que le peuple prenne pied sur la Terre. Car “il te conduit vers un pays de froment, d’orge, de vigne, de figuiers et de grenadiers, pays d’oliviers, d’huile et de miel, où le pain ne te sera pas mesuré” -Dt 8, 8-9. Promesse réitérée en Dt 11, 14 : “Je donnerai à votre pays la pluie en son temps, pluie d’automne et pluie de printemps, et tu pourras récolter ton froment, ton vin nouveau et ton huile…”

Des volontaires israéliens participent à la récolte des grenades au kibboutz Kfar Menahem, dans le sud d’Israël, le 29 octobre 2023. ©Yossi Zamir/Flash90

Plus tard, quand le peuple connaît la douleur de l’exil en terre mésopotamienne, le prophète Ézéchiel le réconforte avec une vision paradisiaque : “Au bord du torrent et sur chacune de ses rives croîtront toutes sortes d’arbres fruitiers dont le feuillage ne se flétrira pas et dont les fruits ne cesseront pas ; ils produiront chaque mois des fruits nouveaux… et même les feuilles seront un remède” -Ez 47, 12.

Le torrent en question est une prolongation du Cédron qui, parti de l’est de Jérusalem, assainira la mer Morte, que nul n’a jamais vue féconde. L’image est celle d’une Résurrection, avant que le terme n’existe, de toute la nature. Et quand est donnée la première promesse du Messie, par le prophète Isaïe du VIIIe siècle, la proposition est à nouveau la plus parlante : “Le Messie mangera du lait caillé et du miel… tout survivant du pays mangera du lait caillé et du miel” -Is 7, 15 ; 22. Heureux présage !

Ces nombreuses références représentent un avenir de bonheur, et de félicité : “Le miel et le lait sont sous ta langue” -Ct 4, 11- dit l’amoureux du Cantique à sa bien-aimée. Le miel est alors le moyen le plus efficace pour sucrer les aliments, mais on peut aussi édulcorer les mets avec des jus de fruits concentrés et avec les dattes, fruit parmi les plus sucrés. L’abondance de nourriture est, depuis l’origine, une des promesses fondamentales de Dieu et c’est d’autant plus attendu quand on sait que le sol de cette “terre promise” est caillouteux, dur à travailler, chichement arrosé. En comparaison, le pays d’Égypte, don du Nil, selon l’historien et géographe grec Hérodote, paraît une terre toujours grasse qui parvient à nourrir sans difficulté sa population et qui, à l’occasion, peut secourir les nomades alentour ; en témoigne le long récit de Joseph et ses frères, quand survient une éprouvante sécheresse dans cette zone occidentale du Proche-Orient -Gn 37 à 50.

La terre-jardin

D’emblée, pour dire la prévenance et l’amour de Dieu, les auteurs bibliques ont révélé cette générosité, que le sol et le climat semblent contredire, en prenant l’image d’un jardin : “Dieu planta un jardin en Éden” -Gn 2, 8. Le rêve pour le paysan israélite ! On pourra noter que ce jardin originel se retrouve au matin de la Résurrection (Jn 20, 15), premier jour des temps nouveaux. Et dans ce jardin d’Éden : “Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres séduisants à voir et bons à manger” -Gn 2, 9. Quoi de plus heureux, en effet, qu’un terrain cultivable, clos de murs qui le protègent des vents desséchants, pourvu d’eau en suffisance et de bonne terre, pour nourrir sa famille, son clan ?

Le même goût
Un juif orthodoxe achète des figues à une femme musulmane à la porte de Damas, dans le quartier musulman de la Vieille ville de Jérusalem. De nombreux juifs traversaient la Vieille ville pour se rendre
au Mur occidental pour les prières de la fête de Souccot. ©Hadas Parush/Flash90

Très tôt, dans les pays de fleuves abondants, les agriculteurs ont su creuser des canaux d’irrigation, dériver des bras de rivières, façonner des digues pour prévenir les inondations. L’eau a gagné à être maîtrisée pour qu’on n’en retienne que l’utilité et se prémunisse des ravages des inondations.

Les fruits principaux en Palestine-Israël sont le raisin, la datte, la figue et l’olive qui permettent quantité de préparations : “Le vin qui réjouit le cœur de l’homme -Ps 104, 15 ; les raisins mis à sécher après les vendanges : “Soutenez-moi avec des gâteaux de raisin” -Ct 2, 5 ; “les gâteaux de figues” servis aux tables ou portés sur les autels en oblations. C’est lors de la fête juive d’automne, Sukkot ou fête des tentes, que l’on fait sécher les fruits de fin de saison qui seront consommés en hiver : les noix, noisettes, figues, raisins, pistaches, amandes. C’est aussi avant les premiers frimas qu’on cueillera les grenades qui se sont arrondies tout l’été, douces et astringentes à la fois. Pourvu de nombreux grains, ce fruit est devenu un symbole de la fécondité, et c’est un cadeau de mariage courant aujourd’hui ; on en façonne de très belles céramiques. Les multiples grains rouges du fruit ouvert apportent aussi une pointe d’amertume, c’est ce que représente l’icône qui se trouve dans l’église latine de Taybeh ; la Vierge Marie enveloppe l’enfant qui, dans sa main, tient une grenade annonçant autant la douleur amère de la Croix que sa fécondité spirituelle. Un passage du livre des Maccabées parle de jus de raisin et de mûres -1M 6, 34. Seule mention positive pour ce buisson, car les ronciers, associés aux épines, sont le plus souvent l’image des terres infertiles, voire maudites. Ainsi le paysage que sera Édom après le passage de la colère de Dieu : “Dans ses bastions croîtront les ronces, dans ses forteresses l’ortie et l’épine” -Is 34, 13. Et les temples idolâtres recevront leur punition : “Les hauts-lieux d’Aven seront détruits, épines et chardons grimperont sur leurs autels” -Os 10, 8.

Quant à l’amande, elle a un rôle particulier. L’arbre qui la porte, l’amandier, a aussi le sens de “veilleur”. C’est le jeu de mots qu’entend Jérémie, quand il reçoit sa vocation de prophète à Jérusalem au VIe siècle : “Je vois une branche de veilleur” -Jr 1, 11. L’amandier, parce qu’il fleurit en premier, dès le mois de février, est en quelque sorte l’annonciateur de toutes les fructifications, il “veille” sur la reprise de la végétation.

…l’huile d’olive saura détendre les muscles endoloris, adoucir les contusions. Ne voit-on pas le bon Samaritain bander les plaies de l’homme blessé en y versant “de l’huile et du vin” ?

Par cette vision Dieu invite Jérémie à être vigilant, à observer et savoir interpréter les signes. Ce fruit est très riche en matière grasse et oligoéléments, très nutritif, et se prête à de multiples préparations culinaires, en plats salés comme sucrés. Ce qui n’est pas le cas de la caroube, dont le fils prodigue de la parabole lucanienne se nourrit faute de mieux -Lc 15, 16 ; comestible, mais peu nutritive et fade, c’est une pitance de pauvreté. Une tradition judéo-chrétienne apocryphe assure que Jean Baptiste s’en faisait des repas… en plus des sauterelles !

Le dattier évoque par sa stature déployée la beauté plantureuse : “Le juste poussera comme un palmier… dans la vieillesse il porte fruit, il reste frais et florissant” -Ps 92, 13-15. Et l’amant du Cantique déclare : “Dans ton élan, ma bien-aimée, tu ressembles au palmier-Ct 7, 8. Jéricho, la belle oasis, est plusieurs fois nommée “la ville des palmiers” -Jg 1, 16 ; 2Ch 28, 15. Ses larges feuilles animent les processions : Ap 7, 9 voit “les élus en robes blanches, palmes à la main”.

Onction
Un ouvrier palestinien travaille dans une presse à pierre traditionnelle à Beit Jala, près de la ville de Bethléem en Cisjordanie. Ps 133, 1-2 “Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en frères tous ensemble ! C’est une huile excellente sur la tête, qui descend sur la barbe d’Aaron, sur le col de ses tuniques.” © Wisam Hashlamoun/Flash90

L’or liquide

L’olivier enfin et son huile méritent un paragraphe particulier. Si c’est une branche d’olivier que la colombe lâchée par Noé tient dans son bec quand le Déluge laisse la place à la végétation nouvelle, c’est bien que l’arbre est considéré comme le premier en importance, devenu signe d’apaisement des flots et de la nature tout entière prête à fructifier de nouveau -Gn 8, 11.

De leurs feuilles argentées les oliviers couvrent tout le territoire, particulièrement les collines de Samarie, paysage familier du prophète Osée : “Le peuple d’Israël aura la splendeur de l’olivier.” Os 14, 7. Outre son usage culinaire, l’huile d’olive saura détendre les muscles endoloris, adoucir les contusions. Ne voit-on pas le bon Samaritain bander les plaies de l’homme blessé en y versant “de l’huile et du vin” ? -Lc 10, 34.

Enfin le mot même de “messie” ne signifie rien d’autre que “frotté d’huile” ; c’est l’onction de ce précieux liquide, parfois transformé en baume, qui marque les rois et les prophètes, et désigne le Promis de par Dieu, celui qui fera toute chose nouvelle -Is 43, 19.t

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