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Martyrs de Damas : des témoins pour aujourd’hui

Antoine Cothier
23 janvier 2025
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Dans le hall principal du couvent Saint-Sauveur, des panneaux en plusieurs langues présentent la vie des saints.

Depuis la canonisation des Martyrs de Damas à Rome, les franciscains de la Custodie s’attachent à transmettre leur message spécialement aux jeunes. Ils ont à cœur de montrer que leur sacrifice pour la paix et la foi chrétienne est une force et une source d’espoir pour les communautés chrétiennes d’aujourd’hui au Proche-Orient.


Dans la salle de conférences du couvent franciscain Saint-Sauveur à Jérusalem, sont présents de nombreux franciscains, venus d’Israël et de Cisjordanie. S’ils veulent vivre et faire vivre le message des martyrs de Damas aux populations chrétiennes qui les entourent, encore faut-il qu’ils en prennent eux-mêmes la mesure. C’est l’enjeu du symposium qui les réunit. Le programme commence par les fondamentaux : les martyrs dans la Bible. Frère Alessandro Coniglio du Studium Biblicum appelle à la rescousse les figures d’Abel, de Zacharie et des Maccabées. Le message principal est, qu’à l’image du Christ, l’essence du martyre est l’écoulement du sang d’un juste.

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Avec frère Ulise Zarza, on découvre la culture du martyre chez les Pères de l’Église. “Au IIe siècle, le martyre était central à l’identité et à la foi chrétiennes. Le martyre suscite l’admiration dans le cœur des païens qui sont nombreux à se convertir. Nous nous faisons tuer car nous savons que la mort n’est pas une fin. Les martyrs, à l’image du Christ, incarnent la Résurrection.”

Frère Narcyz Klimas, historien de la Custodie de Terre Sainte, restitue le contexte qui a conduit à cette page d’histoire. “En 1856, explique-t-il, le traité de Paris a obligé l’Empire ottoman à abolir le système de dhimmitude et à autoriser la liberté de culte pour chaque groupe religieux. Les communautés musulmanes du Proche-Orient étaient nombreuses à s’opposer à cette mesure et en 1860, leur colère éclate : plusieurs villages chrétiens de Syrie et du Liban sont brûlés et leurs populations massacrées. Le 9 juillet, les communautés musulmanes, en majorité druzes, de Damas patrouillent les rues des quartiers chrétiens en peignant des croix sur les portes des maisons chrétiennes. Dans la nuit du 9 au 10, elles attaquent le quartier, s’en prenant notamment au patriarcat grec-orthodoxe. L’émir Abd el-Kader arrive à cacher de nombreux chrétiens dans son palais, mais les franciscains se retrouvent coincés dans leur couvent. Ils sont dénoncés, et la foule entre dans les locaux et passe par l’épée les huit frères mineurs ainsi que trois frères laïcs maronites.”

Ce symposium est une des activités organisées par frère Marwan Di’des. Mais celui qui a été, au service de la Custodie tour à tour curé de paroisse, directeur d’école, initiateur d’un foyer d’accueil d’enfants issus de familles défavorisées, a surtout à cœur de transmettre le message à la communauté chrétienne.

Ancrage

“Notre mission, explique-t-il, est et a été – depuis que la Custodie est présente au Proche-Orient – de soutenir les communautés chrétiennes locales. Les missions pratiques comme l’éducation, l’aide au logement et l’insertion socio-professionnelle, sont centrales, mais il ne faut pas négliger la pastorale. Cette pastorale est adressée à des communautés chrétiennes qui ont toujours vécu des situations difficiles de violences et de persécutions. Cela ne s’arrêtera pas. Dans les situations difficiles, il faut s’imprégner de figures exemplaires. Les martyrs de Damas en sont une. Dans une culture où l’idée du martyre n’est pas la même que celle enseignée par l’Église [il fait référence aux martyrs politiques qualifiés de terroristes par Israël], ceux de Damas sont un exemple de justes tués par des oppresseurs violents. Leur sainteté est un message d’espoir en un monde nouveau, celui où la paix du Christ-Roi règne. C’est l’espérance en ce monde, montrée par la conviction des martyrs tués, qui permet aux communautés chrétiennes de tenir bon et de rester sur leur terre.”

Le souvenir des martyrs n´est pas seulement mémoire, mais pour les franciscains enseignement
à transmettre. ©Custodie de Terre Sainte

Depuis des semaines, frère Marwan a travaillé le message des martyrs de Damas avec de jeunes frères franciscains, à eux de le transmettre maintenant dans les écoles et les paroisses.

Au Terra Santa College de Bethléem, en Cisjordanie, un groupe d’environ 80 élèves, garçons et filles, se retrouve dans une grande salle de conférences. C’est le troisième groupe de la matinée auquel s’adressent deux frères franciscains de la Custodie : frère Nour Tamas, originaire d’Irak, et frère Mervyn Gomez, un Indien ayant grandi aux Émirats arabes unis.

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À destination des jeunes, la présentation est plus pédagogique. Frère Nour est le premier à prendre la parole pour présenter les martyrs, donner les trois dates clés : leur mort (1860), leur béatification (1926) et leur canonisation (20 octobre 2024 par le pape François). Il explique qu’ils sont morts en martyrs pour le Christ et définit avec des termes simples ce qu’est le martyre, un témoignage de fidélité au Christ. Il précise qu’ils sont martyrs non pas parce qu’ils sont morts en se battant pour se défendre, comme les Palestiniens l’entendent dire des personnes tuées par l’armée israélienne ou les colons, mais parce qu’ils ont donné leur vie par amour pour le Christ et par volonté de paix. Il les compare à d’autres martyrs comme saint Paul. Puis il explique que la sainteté est accessible à tous, même dans notre génération, citant Carlo Acutis qui “buvait du Coca-Cola et avait un iPhone”.

“Il y a deux messages essentiels, insiste-t-il. Le premier est que, pour nous chrétiens, les choses étaient difficiles, sont difficiles et le seront, surtout dans la région. Le deuxième message est que la sainteté ne doit pas être vue comme un concept lointain réservé à des élus, mais qu’elle est accessible à tous. S’ils retiennent ça, mon travail aura été bien fait.”

Après cette introduction et pour parler leur langage, frère Marwan a fait réaliser une animation vidéo. Avec d’autres mots, d’autres codes visuels, elle raconte l’épisode de la persécution survenue à Damas. Tandis que les frères prennent un visage, les tueurs sont dépersonnifiés, décrits comme le mal et représentés comme des fantômes humanoïdes sans visage. Frère Nour explique : “Nous ne voulions pas pointer du doigt ceux qui ont perpétré ces massacres, le sujet est suffisamment sensible comme cela. D’ailleurs, vous noterez que seuls les élèves chrétiens étaient présents à la conférence. La population des élèves de l’école n’est qu’environ à moitié chrétienne.” La seconde partie de la vidéo est un commentaire du frère Marwan, rompu à s’adresser aux jeunes dans un langage qui retient leur attention et de nature à les marquer : “Ils sont morts pour la vérité, la vérité étant le Christ !” conclut-il.

Le vrai martyr

Tous les élèves restent attentifs. Les bavardages et les chamailleries ont laissé la place à l’attention. Ils posent tour à tour des questions au frère Nour. Les questions fusent, sur la perception des Israéliens, de ce qu’ils estiment être les pressions dont ils sont victimes et aussi sur la relation avec certains musulmans. Est-ce qu’on est martyr si on n’en meurt pas ? Ils ont besoin de revenir sur la différence entre le martyr politique dont ils entendent parler, alors que les portraits des “martyrs” au nom de la Palestine sont placardés dans les rues. Certains connaissent des chrétiens morts injustement sous les balles israéliennes, alors eux ne seraient pas des martyrs ?

Frère Mervyn revient sur ces interrogations : “Le message que nous portons d’un martyr chrétien est difficile à transmettre dans une société ayant déjà une idée particulière et contraire à la nôtre. Notre idée est de leur faire comprendre que, bien que la vie soit difficile, le martyr chrétien est un homme de paix. Si on vous agresse, ne prenez pas les armes, mais plutôt le rosaire.” Les questions des adultes ne sont pas si différentes. C’est lors d’une homélie dominicale que les curés franciscains leur parlent des martyrs de Damas, et à l’issue de la messe, un des frères missionnaires du message s’adresse encore une fois à eux avant d’accueillir leurs questions pendant un café dans la salle paroissiale.

Frère Marwan veut souligner une nouvelle fois : “En tant que chrétiens, nous sommes appelés à aimer, à répandre l’Évangile et à être frères avec tous. Mais nous sommes aussi appelés à témoigner chaque jour d’une vie complète et intégrée, vécue pour l’amour de Jésus-Christ.”

Une parole qui, en temps de guerre, fait du bien mais se révèle aussi d’une exigence aride.

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