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Chrétiens palestiniens: « La Cisjordanie est devenue une grande prison »

Cécile Lemoine
3 février 2025
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Routes bloquées, bouchons monstres, opérations militaires... Depuis l'entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza, c'est la Cisjordanie qui est dans le viseur israélien. Les habitants des villages chrétiens témoignent.


Son trajet quotidien est passé de 30 minutes à près d’une heure trente, pour seulement 24km. Entre la barrière qui bloque l’entrée de son village, Aboud, et celles qui ont été placées sur le chemin vers Ein Arik, où il dirige l’école du patriarcat latin, Hanna Fawadleh a passé ces deux dernières semaines dans les embouteillages. « Les barrières existaient déjà, mais les soldats israéliens en a ajouté de nouvelles. Maintenant, la Cisjordanie est une grande prison. L’armée a transformée nos villes et nos villages en prison à ciel ouvert », soupire le directeur, de confession chrétienne.

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Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza, le 16 janvier, Israël a tourné son viseur vers la Cisjordanie. Les territoires palestiniens ont subit un durcissement soudain de l’occupation militaire qui s’est manifesté dès le premier jour de la trêve, et les premières libérations de prisonniers, par la fermeture des routes palestiniennes.

Une des entrées au village de Silwad, bloquée elle depuis un an et demi pour cause de proximité avec la colonie d’Ofra. ©MAB/CTS

Barrières et « mur de fer »

Depuis le début de l’année, au moins 17 nouvelles barrières ont été installées pour bloquer les accès aux grandes routes depuis les villes palestiniennes. Cela porte à 898 leur nombre à travers les territoires palestiniens, selon un décompte de la Commission de résistance à la colonisation et au mur.

L’armée israélienne a également lancé une opération d’ampleur dans les camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie. Baptisée « Mur de Fer », elle a déjà fait plus de 50 en l’espace de deux semaines. “L’opération « Mur de fer » sera une action vigoureuse et continue contre les éléments du terrorisme et leurs auteurs, pour la protection des colonies et des colons et pour la sécurité de l’État d’Israël tout entier, pour lequel les colonies font office de ceinture de sécurité”, détaillait Bezalel Smotrich, le 21 janvier sur X.

Embouteillages à l’entrée du village chrétien de Taybeh, causés par un contrôle militaire le 30/01/2025 ©Cécile Lemoine

Début novembre, le ministre des Finances et gouverneur de facto de la Cisjordanie avait annoncé que 2025 serait l’année de “l’application de la souveraineté israélienne sur la Judée-Samarie », mettant ainsi fin à « la menace » d’un État palestinien ». Opposé à l’accord de trêve avec le Hamas, le ministre d’extrême droite a conditionné son maintien dans le gouvernement de Benyamin Netanyahou à l’inscription du « renforcement de la sécurité en Judée-Samarie », parmi les objectifs de la guerre.

Isoler les villages les uns des autres

Ces barrières, fermées aléatoirement et arbitrairement par l’armée israélienne, prennent parfois la forme de monticules de terres, ou des blocs de béton. En bloquant les accès, elles isolent les villages les uns des autres. « Le but est de réduire les interactions entre les palestiniens et les colons. Dans leur esprit, cela leur permet de protéger les colons, mais ça nous rend surtout la vie plus difficile », explique Firas Abedrabbo, le curé d’Ein Arik. « Depuis quelques jours, ils les ouvraient de 6h à 9h, puis à partir de 20 heures. Mais ça ne change rien, car c’est l’heure à laquelle les gens vont au travail et qu’il y a du traffic.

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Taybeh, dernier village 100% chrétien de Cisjordanie fait aussi les frais de ces blocages. Les accès à la bourgade sont empêchés par au moins trois cotés. La route qui permet de descendre vers Jericho a été garnie d’une barrière orange et d’une pancarte rouge criarde : « Cette route mène à un village palestinien. L’entrée y est dangereuse pour les citoyens israéliens. »

Rester créatif

Un rapport de la Banque Mondiale avait calculé que les points de contrôle créés après la Seconde Intifada dans les années 2000 avaient couté l’équivalent de 6% du PIB à l’économie palestinienne. Alors que la plupart des palestiniens ont perdu leur travail en Israël ou reçoivent à peine leur salaire de la part de l’Autorité palestinienne, cette même économie est aujourd’hui crépusculaire.« Ici, les gens se soucient plus de gagner leur vie que de faire la guerre aux israéliens », souligne Hanna Fawadleh, en pointant que seuls 30% de ses 300 élèves parviennent à payer leurs frais de scolarité cette année.

« Les gens de classe moyenne ont peur de dépenser de l’argent pour l’école, ils gardent ce qu’ils ont pour d’autres dépenses », explique le directeur, qui veut rester positif : « On garde le sourire, et on reste créatif. Aujourd’hui il y a des groupes whatsapp où les gens se donnent des nouvelles en temps réel de l’état des routes et des checkpoints. » Résilience, quand tu les tiens.

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