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Syrie : Restaurer le patrimoine archéologique pour relancer le tourisme

Giuseppe Caffulli
20 février 2025
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Une section du souk d'Alep, le marché couvert dévasté par la guerre et désespérément désert. © F. Pistocchini

Ce n’est pas l’une des priorités les plus pressantes des dirigeants actuels en Syrie. Pourtant, restaurer le patrimoine archéologique endommagé par la guerre pourrait contribuer à redresser le pays, autrefois une destination prisée du tourisme international.


Avant le déclenchement de la guerre civile en mars 2011, le véritable « pétrole » syrien était le tourisme. Selon les données officielles fournies en janvier 2011 par le ministère du Tourisme de Damas, environ 6 millions de touristes étrangers avaient visité la Syrie en 2009. L’année suivante, une progression spectaculaire avait été enregistrée, avec 8,5 millions de visiteurs, soit plus de 40 % d’augmentation. Les recettes du secteur touristique avaient atteint 8,5 milliards de dollars, représentant 14 % du produit intérieur brut. Plus de 10 % de la population active était employée dans ce secteur.

Un triste bilan

Évidemment, la guerre civile a anéanti ce domaine, privant le pays d’une richesse considérable. En parallèle à la tragédie d’un conflit qui a duré 14 ans, où diverses factions islamistes ont combattu le président Bachar al-Assad (renversé en décembre 2024 et actuellement en exil à Moscou), un véritable saccage des principaux sites historiques et archéologiques syriens s’est produit. Selon l’Unesco, cinq des six sites inscrits au patrimoine mondial (outre la vieille ville de Damas, il s’agit de Palmyre, la citadelle d’Alep, le Krak des Chevaliers et un ensemble de 40 anciens villages dispersés dans huit zones du nord de la Syrie, connus sous le nom de « Villes mortes ») ont été touchés plus ou moins gravement par des bombardements aériens, des tirs d’artillerie et des actes de vandalisme. Seule l’ancienne cité de Bosra semble avoir été moins endommagée. En 2013, l’Unesco a classé ces six sites sur la liste des biens en péril, méritant une attention particulière. Fin septembre de la même année, 289 sites touristiques avaient été endommagés ou rendus inaccessibles.

Aujourd’hui, alors qu’un vent de changement souffle sur Damas avec l’arrivée d’Ahmed Al-Sharaa au pouvoir et la perspective imminente d’un nouveau gouvernement d’unité nationale, une lueur d’espoir renaît parmi les experts locaux et les organismes internationaux, notamment l’Unesco. L’objectif est de retourner sur les sites du patrimoine culturel syrien ravagés par la guerre et de poser les bases de leur restauration. Dans un pays économiquement exsangue, le tourisme culturel pourrait offrir l’impulsion nécessaire à la relance économique.

Palmyre, la perle ravagée du désert

Un aperçu de Palmyre sur une photo de 2010. ©G. Caffulli

Parmi les trésors de la Syrie, Palmyre occupe une place centrale. Ce carrefour majeur de l’ancienne Route de la soie reliait les côtes méditerranéennes de l’Empire romain à l’Asie. Construite aux confins du désert syrien, il ne reste aujourd’hui de son passé glorieux que des colonnes brisées et des temples en ruines. Avant 2011, le site archéologique de Palmyre était la principale attraction touristique du pays, accueillant environ 150 000 visiteurs par mois.

L’arrivée de l’État islamique a été une catastrophe : temples et tombes ont été détruits. Le 24 août 2015, Daech a fait exploser les temples de Bal et Baalshamin ainsi que l’Arc de triomphe et la voie colonnade, considérés comme des symboles idolâtres. L’un des actes les plus barbares des extrémistes a été l’assassinat de l’archéologue Khaled al-Asaad, qui avait consacré sa vie à l’étude et à la préservation du site.

Entre 2015 et 2017, le contrôle de Palmyre a oscillé entre Daech et l’armée syrienne, soutenue par les forces russes. La forteresse islamique du XVIe siècle, le château de Fakhr al-Din al-Ma’ani, dominant l’ancienne Palmyre, a été transformée en caserne militaire par les troupes russes.

Aujourd’hui, quiconque visite Palmyre fait face à un désastre sans précédent. Outre les monuments mutilés et les tombes profanées par des inscriptions blasphématoires, le site a été la cible de fouilles clandestines menées par des pilleurs et des trafiquants. De nombreux vestiges archéologiques ont probablement fini sur le marché noir ou dans des collections privées.

Alep et le Krak des Chevaliers : un patrimoine en péril

Au-delà de Palmyre, Alep porte également les stigmates de la guerre. La citadelle et le souk historique, autrefois grouillants de vie, ont été ravagés par les combats. Les monuments du XIIIe siècle, la Grande Mosquée du XIIe siècle, ainsi que les madrassas, palais, caravansérails et hammams nécessitent une restauration minutieuse afin d’être rendus au peuple syrien et, éventuellement, aux visiteurs du monde entier.

Même constat pour le Krak des Chevaliers, un château médiéval croisé perché sur une colline surplombant la vallée près de la ville d’Al-Husn. Ce joyau de l’architecture militaire, lourdement bombardé pendant la guerre civile syrienne et encore plus fragilisé par le séisme de 2023, est en danger. Une restauration rapide est essentielle pour éviter sa ruine.

Photo d’archive du Krak des Chevaliers © G. Caffulli

Les Villes mortes, témoins silencieux du passé

Dans le nord-ouest de la Syrie, les anciens établissements byzantins appelés « Villes mortes » comptent parmi les sites touristiques les plus fascinants du pays. Ces vestiges comprennent des maisons en pierre calcaire, des basiliques, des tombes et des rues bordées de colonnes, témoins d’un temps figé depuis des siècles. Ces villages, prospères grâce au commerce et à l’agriculture jusqu’au Ier siècle, ont été abandonnés après un terrible séisme à l’époque tardive antique.

Classées au patrimoine mondial de l’Unesco en 2011, ces cités à ciel ouvert sont depuis inaccessibles aux visiteurs en raison du conflit.

Un défi colossal pour la restauration

La sauvegarde du patrimoine archéologique syrien est une véritable course contre la montre. « Malheureusement, les autorités et la nouvelle administration sont encore en phase de transition, et le patrimoine n’est pas encore une priorité », déclare Ayman al-Nabo, directeur du Centre des antiquités d’Idlib.

De son côté, Anas Zaidan, responsable de la Direction générale des antiquités et des musées syriens (DGAM), a présenté un projet ambitieux lors d’un webinaire organisé le 20 janvier dernier par les ONG Blue Shield et Heritage for Peace, spécialisées dans la protection du patrimoine culturel. Ce programme vise à restaurer les musées et les sites archéologiques, à créer de nouveaux musées à Ebla, Ugarit et Mari, ainsi qu’à numériser les anciens manuscrits conservés dans les bibliothèques nationales.

Travaillant en étroite collaboration avec l’Unesco, Zaidan a souligné que des ressources considérables, des compétences spécialisées et des avancées technologiques seront nécessaires pour mener à bien cette mission. La préservation de ce patrimoine inestimable s’annonce comme une bataille difficile mais indispensable.

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