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Chrétiens en Terre Sainte: entre vocation et mission

Daniele Rocchi de l'agence Sir
26 février 2025
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Place de la Nativité à Bethléem, les pèlerins italiens entourés d'enfants portant des messages de remerciements pour leur présence et des appels à poursuivre l'élan de solidarité ©Adriana Sigilli/Diomira Travel

Daniele Rocchi, de l’agence italienne Sir, a accompagné un des premiers groupes italiens de retour sur les chemins de pèlerinage. Il a recueilli les paroles du custode de Terre Sainte, Francesco Patton, qui parle de la vocation singulière des chrétiens de Terre Sainte. Une parole forte à entendre.


« Naître et être chrétien en Terre Sainte est une vocation et une mission, ce n’est ni une malédiction ni un caprice du destin. Naître ici demande d’entrer dans la spiritualité de la vocation et du disciple. C’est la spiritualité du petit troupeau, ce qui ne signifie pas être désavantagé par rapport aux chrétiens vivant ailleurs, mais avoir une responsabilité encore plus grande de témoigner de sa foi profonde en Dieu. »

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Celui qui parle est le custode de Terre Sainte, le père Francesco Patton. Il a récemment accueilli à Jérusalem l’un des premiers groupes de pèlerins italiens qui, petit à petit, commencent à revenir en Terre Sainte, grâce notamment à la tenue de la trêve à Gaza et au Liban. On est encore loin des grands flux de pèlerinages d’avant le 7 octobre 2023, date de l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, mais un timide réveil semble se dessiner. De plus, Nazareth, Bethléem et Jérusalem sont les trois lieux saints où il est possible de vivre l’expérience de l’indulgence jubilaire. À ces lieux s’ajoute le site du baptême de Jésus, en Jordanie.

La visite à la Custodie des pèlerins italiens, venus des diocèses de Milan, Trente, Brescia, Tortone, Plaisance et Novare, sous la conduite d’Adriana Sigilli (Diomira Travel), a été l’occasion pour le père Patton d’évoquer l’importance d’impliquer davantage les chrétiens locaux dans les programmes destinés aux pèlerins. Il ne s’agit pas seulement de visites et de prières dans les lieux saints, mais aussi de rencontres et de partages avec les chrétiens qui y vivent.

L’importance de la présence chrétienne

« La Terre Sainte, le Liban, la Syrie, l’Égypte, la Jordanie sont des lieux marqués par l’histoire, souvent tourmentés et ravagés par des conflits qui perdurent encore aujourd’hui, a déclaré le père Patton. Mais ce sont aussi des lieux où il est essentiel d’être présents en tant que chrétiens, car il est important de témoigner d’une vie pacifique et d’éduquer à la paix. C’est une mission que les frères de la Custodie accomplissent depuis 800 ans. »

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Malheureusement, a-t-il ajouté, « au fil des années, les communautés chrétiennes de la région ont diminué en raison des conflits et des guerres. Beaucoup ont émigré en quête d’un avenir plus stable et sécurisé. La présence chrétienne dans ces pays, berceau du christianisme, est réduite à un petit troupeau qui doit constamment trouver des raisons de rester. C’est une question que posent souvent les chrétiens locaux, surtout les jeunes, à l’Église et à nous, pasteurs : ‘Pourquoi devons-nous rester ? Quel est l’intérêt de rester ici où la vie est devenue presque impossible ?’ Nous entendons ces interrogations de Bethléem à Alep, de Jérusalem à Nazareth. »

Être sel et lumière

La réponse que le custode Patton, arrivé à la fin de son second mandat et sur le point de passer le relais à son successeur, a pu formuler est la suivante : « Naître et être chrétien en Terre Sainte est une vocation et une mission. »

Et la spiritualité du petit troupeau, comme le dit Jésus dans l’Évangile, signifie « ne pas craindre », être « sel et lumière », en cherchant à « exprimer une forme de vie chrétienne qui soit significative pour les autres ». C’est ce que les Églises locales, à commencer par la Custodie de Terre Sainte et le Patriarcat latin de Jérusalem, réalisent à travers leurs institutions et organismes (maisons, écoles, hôpitaux…).

Le custode de Terre Sainte Francesco Patton un des premiers des groupes de pèlerins rencontrés depuis 16 mois ©Adriana Sigilli/Diomira Travel

« Une mission également reconnue par les fidèles des autres religions », souligne le père Patton. « Tout ce que nous faisons – éducation, formation, accueil – vise à poser les bases du dialogue, de la coexistence et du respect des différences. Le sens de la présence chrétienne ici est de maintenir allumée une perspective différente de celle de Caïn et Abel.

Agir ainsi nous donne la possibilité de travailler ensemble, non seulement avec les chrétiens de tous rites et confessions, mais aussi avec les musulmans et les juifs. Nous ne cherchons en aucun cas à convertir les autres sur le plan religieux, mais nous travaillons en faveur d’une conversion culturelle, pour aider à passer d’une culture de la division à une culture de l’acceptation mutuelle. »

Une question posée par le père Patton aux jeunes est particulièrement révélatrice : « Selon vous, votre terre, sans les chrétiens, serait-elle meilleure ou pire ? » La réponse est unanime : « Elle serait pire. »

La qualité du troupeau

Il ne s’agit donc pas d’une question de nombre, mais de qualité du troupeau. Le custode a illustré cela par deux exemples :

  • Celui de la petite communauté chrétienne de Gaza, où depuis 16 mois, une guerre fait rage entre Israël et le Hamas, causant des dizaines de milliers de morts.
  • Celui des communautés chrétiennes des villages de l’Oronte, dans le gouvernorat d’Idlib (Syrie), où les jihadistes, anciens membres d’Al-Qaïda sous la direction d’Al Jolani, ont renversé le régime de Bachar al-Assad.

Ce sont, explique le père Patton, « de petites communautés, pleines de foi et d’espérance, qui ont su faire face concrètement aux immenses difficultés imposées par la guerre.

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Beaucoup de fidèles sont partis, c’est vrai, mais ceux qui sont restés ont vécu une forte expérience d’appartenance communautaire. Ces petits troupeaux ont su être ‘sel et lumière’ dans cette situation dramatique. L’Église est la maison de ces chrétiens ; certains y vivent même comme réfugiés, comme à Gaza. »

Enfin, il a souligné la gravité de la situation actuelle : « La haine terrible qui s’est déchaînée après le 7 octobre a creusé un fossé très profond, et il faudra des générations pour le combler, pas seulement quelques années ou quelques initiatives de bonne volonté. Il faudra un véritable changement culturel.

Honnêtement, je ne sais pas si les gens vivant ici en Terre Sainte sont prêts à ce changement. Ce que j’observe, c’est une radicalisation des deux côtés, qui accentue encore les divisions.

Nous avons alors deux options : baisser les bras et nous dire que nous perdons notre temps, ou nous souvenir que c’est notre vocation et continuer à nous engager pour la paix, le dialogue, la réconciliation, le pardon et la coexistence, comme Jésus nous le demande. »


Article traduit de l’italien et publié avec l’aimable autorisation de son auteur Daniele Rocchi envoyé spécial à Jérusalem de l’Agence catholique Sir.

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