Des clés pour comprendre l’actualité du Moyen-Orient

Chrétiens à Bethléem : il n’y a pas seulement ceux qui partent, mais aussi ceux qui reviennent

Daniele Rocchi - Agence Sir
14 mars 2025
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Fidèles orthodoxes devant l'église de la Nativité, avant un service de Noël selon le calendrier julien dans la ville de Bethléem en Cisjordanie, le 6 janvier 2025. © Flash90

Daniele Rocchi, journaliste de l’agence italienne Sir, s’est glissé au milieu d’un groupe de pèlerins. Les chrétiens de Bethléem qu’ils ont rencontré leur ont raconté sans fard ce qu’ils vivent. Ils ont aussi partager l’attachement à leur terre vécu dans la foi.


« Nous vivons dans une prison à ciel ouvert, avec tant de difficultés, et malgré tout, nous sommes heureux d’être à Bethléem. » Ces paroles sont pesées, réfléchies, à la lumière d’une foi chrétienne qui n’est jamais ostentatoire mais profondément enracinée dans la terre où Jésus est né.

Eliana, Samiran, Georgette, Jack, Stephanie et Noura sont quelques-uns des membres de la communauté chrétienne de Bethléem qui ont rencontré ces derniers jours un groupe de pèlerins (laïcs, religieuses et prêtres) des diocèses de Milan, Trente, Brescia, Tortona, Plaisance et Novare, sous la conduite d’Adriana Sigilli (Diomira Travel).

Ce pèlerinage jubilaire a été organisé pour exprimer une proximité spirituelle et une solidarité concrète avec la communauté chrétienne locale, et c’est pourquoi il a été riche en rencontres avec les « pierres vivantes » de cette Terre tourmentée.

Dans leurs témoignages, on retrouve le message du patriarche latin de Jérusalem, le cardinal Pierbattista Pizzaballa, lors de la Messe de Minuit à Bethléem, le Noël dernier : « Croire ou partir, habiter cette terre et vivre notre histoire ou s’en aller… Faire de nos familles et de nos communautés les berceaux d’un avenir de justice et de paix, déjà initié avec la venue du Prince de la Paix. » Des choix lourds de sens, surtout dans le contexte actuel de la Terre Sainte.

Un choix réfléchi

Beaucoup de chrétiens de Bethléem et d’autres localités de Cisjordanie ont émigré à la recherche d’un avenir meilleur ailleurs. D’autres, comme Eliana, Georgette et Noura, ont choisi de revenir après une expérience d’études en Italie. « C’était une décision mûrement réfléchie. Beaucoup de familles chrétiennes ont quitté et quittent encore la Terre Sainte ; moi, j’ai décidé de faire le chemin inverse : revenir. La Terre Sainte ne peut pas rester sans chrétiens. »

Un choix que ces femmes, toutes mariées et certaines attendant un enfant, vivent avec douleur, mais sans se laisser abattre. Elles font preuve de courage et de résilience. Eliana témoigne : « Je suis heureuse d’être née à Bethléem, malgré les difficultés que nous endurons quotidiennement. » « Ce que nous vivons est une lourde croix, mais je ressens comme une mission de continuer à vivre ici, avec la certitude que le Père n’abandonne pas ses enfants. »

Après la pandémie de Covid et maintenant avec la guerre en cours à Gaza, déclenchée après le 7 octobre 2023, la vie à Bethléem et en Cisjordanie est devenue encore plus difficile en raison du manque de travail et de sécurité. « L’armée israélienne a retiré les visas de travail des Palestiniens qui allaient travailler en Israël », explique Eliana.

Jusqu’à récemment, elle se rendait tous les matins à Jérusalem pour son travail : « Dans la ville sainte, je gérais les réservations des maisons d’accueil de la Custodie de Terre Sainte, ‘Casanova’ de Bethléem et de Nazareth. Chaque jour, je devais traverser les checkpoints israéliens. Ce n’est pas simple pour une femme. Avant le 7 octobre, des milliers de travailleurs y passaient chaque matin, pressés d’arriver au travail, peu enclins à la courtoisie. »

Vivre ici est difficile. « Il faut se débrouiller pour arriver à la fin du mois, parfois avec deux ou trois emplois. Les salaires à Bethléem sont bien plus bas qu’à Jérusalem, alors que le coût de la vie est élevé. Acheter une maison est presque impossible, tout le monde ici a des prêts à rembourser. Mais nous retroussons nos manches et avançons, en donnant notre témoignage chrétien. »

L’avenir des enfants

Ces femmes pensent à l’avenir de leurs enfants. « Je ne voudrais pas que mes filles vivent ce que j’ai vécu moi-même avec la guerre à Gaza et les affrontements en Cisjordanie », confie Eliana, qui admet avoir envisagé de quitter la Terre Sainte, « mais seulement pour un temps. Nous avons pensé nous installer en Italie pour mettre nos filles à l’abri. Mais l’Italie ne reconnaissant pas la Palestine comme un État, nous n’avons pas pu obtenir de visa autre que pour les études ou le tourisme. Nous, Palestiniens, ne sommes pas inclus dans les flux migratoires. Peut-être est-ce un signe qu’il faut rester ici », dit-elle.

Mais l’aide est indispensable. L’Église locale est présente, mais les pèlerins peuvent aussi faire beaucoup, eux qui se font rares en ce moment, mais que nous attendons ici avec impatience. Ce n’est pas seulement une question de travail – de nombreux chrétiens vivent du tourisme religieux – mais aussi de soutien humain et spirituel.

« Que nous attendons-nous des pèlerins et de ceux qui viennent de l’étranger ? Qu’ils nous demandent simplement : ‘Comment allez-vous ?’ Nous nous sentons souvent seuls, abandonnés à notre sort. Être avec nous, parler avec nous, c’est un cadeau immense qui compense tant de souffrances. Nous sentons ainsi que quelqu’un pense à nous. »

Une vie à Bethléem, coûte que coûte

Samiran partage le même avis. Après 18 ans de travail comme cuisinière à l’université de Bethléem des Frères des écoles chrétiennes, un cancer du sein l’a contrainte à arrêter il y a deux ans. Aujourd’hui, elle va mieux et insiste : « À Bethléem, nous essayons d’être forts pour nos enfants et nos petits-enfants, afin qu’ils puissent avoir une vie meilleure que la nôtre. Mais toujours à Bethléem. »

Georgette, comme Eliana, a étudié en Italie avant de choisir de revenir fonder une famille. « C’était un choix courageux », explique-t-elle, « après avoir goûté à la liberté en Italie. » Elle attend une petite fille qui naîtra en mars. Stephanie est également enceinte. La peur de la guerre est toujours présente, mais ces naissances sont « un signe d’espérance et une raison de continuer avec confiance. »

« Ici à Bethléem, il n’y a pas une seule famille chrétienne qui n’ait pas été touchée par la guerre, d’une manière ou d’une autre. Mais notre cœur se réjouit quand nous croisons des pèlerins dans nos rues. Ils sont un signe d’espoir pour nous, car leur présence nous rappelle que nous ne sommes pas seuls et qu’un avenir digne est encore possible ici. »

Regarder vers l’avenir

Jack, père de deux enfants, a vécu la première et la deuxième Intifada, mais précise : « Nous n’avons jamais connu une période aussi difficile que celle d’aujourd’hui. » Il appelle à regarder vers l’avenir : « Nous ne devons pas rester ancrés au présent, mais penser à l’avenir de nos enfants. Il est essentiel que les pèlerins viennent ici pour voir la vérité de leurs propres yeux. Et une fois rentrés chez eux, qu’ils racontent ce qu’ils ont vu. Sans pèlerins et sans le soutien de la communauté chrétienne, il sera difficile de rester ici. »

D’Italie à Bethléem, Noura a suivi le même chemin qu’Eliana et Georgette. Passionnée par l’Italie (« Milan, Pérouse, Rome, mais Florence est la plus belle de toutes ! »), elle travaille aujourd’hui à Jérusalem, bien que seulement quelques heures par jour, dans une école de la Custodie.

Mais elle ne perd pas espoir. « Il y a toujours une guerre ou un conflit qui vient anéantir nos projets et nos rêves… Mais nous n’arrêtons pas d’espérer, surtout quand nous voyons les pèlerins arriver. Cette espérance nous aide chaque jour à traverser le checkpoint israélien, à supporter les longues files d’attente, à ‘pointer’ notre sortie de Bethléem et notre retour, chaque soir, dans cette ‘prison à ciel ouvert’. »


Article traduit de l’italien et publié avec l’aimable autorisation de son auteur Daniele Rocchi envoyé spécial à Jérusalem de l’Agence catholique Sir.

Sur le même sujet
Le numéro en cours

La Newsletter

Abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire

Cliquez ici
Les plus lus