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Venez & Voyez

Pourquoi cette nuit n’est-elle pas comme les autres nuits ?

Claire Burkel, Enseignante à l’École Cathédrale-Paris
14 mars 2025
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Abattage rituel - Des hommes juifs ultra-orthodoxes préparent un mouton lors d’une cérémonie de réparation de la Pâque à Bet Shemesh. ©Yaakov Lederman/Flash90

La fête chrétienne de Pâques s’origine dans la fête juive que toute famille, déjà du temps de Jésus et bien avant lui, célèbre nuitamment. Qu’en dit-on dans les textes du Nouveau et de l’Ancien Testaments ?


Il y a dans la tradition d’Israël un repas très codifié, c’est le repas de la Pâque, que les familles juives prennent à la nuit tombée, dans leurs maisons, en lisant un déroulement strict, la haggadah. De ce repas, unique dans toute l’année liturgique juive, on a quelques traces dans les Évangiles : les trois synoptiques font en effet commencer leurs récits de la semaine de la Passion par ces mentions : “La Pâque tombe dans deux jours” ; puis : “Vint le premier jour des Azymes” -Mt 26, 2 ; 14. Et : “La Pâque et les Azymes allaient avoir lieu dans deux jours… le premier jour des Azymes où l’on immolait la Pâque” -Mc 14, 1 ; 12. Ces introductions nous font bien comprendre que la fête de Pâques est composée de deux moments, qui proviennent en fait de deux traditions différentes. La fête de Pâque, pessah, a une double origine dont on peut remonter l’historique.

VENEZ ET VOYEZ – Abraham notre père commun – Claire Burkel

Dans l’Antiquité les populations se répartissent en deux catégories, les éleveurs et les agriculteurs. Chaque groupe a développé ses rites et ses croyances bien avant la venue des Israélites. Chez les pasteurs nomades, le culte essentiel consistait à sacrifier un jeune animal, agneau ou chevreau, en faisant un rite d’aspersion du sang sur le pilier de la tente ou le linteau de la porte afin d’éloigner le mauvais œil. Cela juste avant le départ de la transhumance de printemps et été, dans l’espérance d’obtenir de bons pâturages, et que le troupeau prospère sans rencontrer ni maladies, ni accidents, ni pertes d’animaux.

On procédait à des prières en groupe et on consommait la bête, à la première pleine lune de printemps, pour avoir le maximum de clarté. On accompagnait ce rôti d’herbes cueillies en cette saison, et elles sont un peu amères, sarriette, pissenlit, roquette, cerfeuil, raifort.

Même si elles ne sont pas habituellement pratiquantes, des familles se retrouvent pour le repas pascal et la lecture de la Haggadah pour ce que le texte a de fondateur dans l’être-juif. ©Nati Shohat/Flash90

De leur côté, aussi au printemps, les agriculteurs sédentaires fêtaient la première moisson de l’année : celle des épis d’orge. Comme cela dépendait de la maturité de la récolte, il n’y avait pas de date plus précise que “au mois d’Abib” -Dt 16, 1. On consommait alors des galettes sans levain cuites avec la farine d’orge toute fraîche, et pour manifester que l’on débutait une saison nouvelle, on bannissait tout apport de la récolte précédente, les anciens ferments, et l’on mangeait du pain non levé.

La fête religieuse de Pâques

Plus tard, autour de l’an 620 av. J.-C., le roi judéen Josias prit l’initiative d’unifier ces deux fêtes. La situation du royaume de Juda n’est alors pas brillante, une grande portion du territoire est passée aux mains des Assyriens conquérants. Sur douze tribus qui s’étaient répandues à la suite de Josué dans la terre de Canaan, il ne reste au VIIe siècle que les tribus de Benjamin, Juda et Siméon qui occupent la région de Jérusalem jusqu’au Néguev, une terre pauvre, peu favorisée par le climat. Pour éviter la dispersion de sa population, le roi recentre la vie religieuse, fait abattre tous les lieux de culte hors Jérusalem (l’archéologie en a trouvé trace à Arad, ville du Néguev) et relie la fête printanière à l’événement du Salut de Pâques : “Au lieu choisi par le Seigneur ton Dieu pour y faire habiter son Nom, tu immoleras la Pâque, le soir au coucher du soleil, à l’heure de ta sortie d’Égypte.” -Dt 16, 6. Le chapitre 12 de l’Exode en délivre tous les détails.

L’événement de la sortie d’Égypte, acte majeur du Salut pour Israël, ayant eu lieu au printemps et précipitamment, il devient l’objet principal de ces deux fêtes réunies en une seule, afin que ne soit vénéré qu’un seul Dieu, sous un seul roi, dans un seul temple par toute la population. La fête familiale, alors très prisée, devient une fête nationale avec intervention du sacerdoce qui immolera les agneaux de chaque famille sur les autels. Elle est célébrée le 14 du mois de nisan, qui est le premier mois du printemps, donnant lieu à une pleine semaine de fête.

Avec un déroulement strict

Voici comment doit se dérouler le repas. La famille entière se réunit sous le même toit. Après avoir récité la prière introductive, le qiddoush, on se lave les mains et on mange des légumes verts crus, le karpass : céleri, laitue, cerfeuil, persil, que l’on trempe dans de l’eau salée ou du vinaigre ; cela exprime les difficultés de la vie quand on était en Égypte, autant que l’espoir de renouveau grâce à la verdure. Sur la table sont déposées trois galettes de pain non levé, du pain azyme. On casse en deux l’une de ces trois matsot avec une pensée pour les affamés.

Au menu du “Seder de Pessah”
le premier soir de la fête pascale juive, qui dure 8 jours. ©Yossi Aloni/Flash90

Alors commence le récit de la sortie d’Égypte : “Nous étions esclaves du pharaon en Égypte et Dieu nous a fait sortir de sa main puissante” -Ex 12-13. On se rince encore les mains, on mange une matsa, on récite des bénédictions et on fait circuler une coupe de vin. Il n’y a pas un verre pour chaque personne, mais une seule coupe saisie de main en main tout autour de la table. On mange ensuite des herbes amères, le maror : endive, pissenlit, radis, raifort, romaine, roquette, sarriette, thym sauvage “parce que les Égyptiens nous rendirent la vie amère en Égypte”. Et on récite une bénédiction sur la dernière matsa : “Béni sois-tu Éternel notre Dieu, roi de l’univers qui fais sortir le pain de la terre”.

Pain azyme et maror sont adoucis en fin de repas avec du harosset, une pâte sucrée composée d’une pomme crue hachée avec des figues, des dattes, des noix et des amandes concassées, de la cannelle et un soupçon de vin ; compacte et taillée en petits rectangles, elle rappelle les briques de terre meuble que l’on préparait en Égypte pour élever les villes pharaoniques : “On imposa à Israël des chefs de corvée pour lui rendre la vie dure… c’est ainsi qu’il bâtit pour Pharaon les villes-entrepôts de Pitom et de Ramsès… Les Égyptiens contraignirent les Israélites au travail et leur rendirent la vie amère par de durs travaux : préparation de l’argile, moulage des briques…” -Ex 1, 11-14.

Lectures

Durant cette nuit pas comme les autres, le chef de famille et son plus jeune membre prennent les épisodes de l’Exode avec une alternance et un questionnement renouvelé. L’enfant demande : “Pourquoi cette nuit n’est-elle pas comme les autres nuits ?” “Pourquoi ne mange-t-on que des pains sans levain et des herbes au goût amer ?” Et l’ancien de raconter comment le peuple a subi l’oppression égyptienne, le dur esclavage, et comment, en une nuit il en a été délivré en suivant Moïse qui était mandaté par Dieu pour guider le peuple hors de la terre de servitude. Parti en hâte vers l’est, il s’est vite trouvé devant une mer infranchissable, les armées de Pharaon galopant à ses trousses. C’est alors que le Seigneur Dieu a agi avec puissance pour que les fils d’Israël traversent à pied sec la mer, qui s’est refermée après eux sur leurs poursuivants tout armés. C’est cette libération que commémore en grande joie Israël chaque nuit de Pâques.

C’est ce moment-là qu’a choisi Jésus pour vivre, et nous faire vivre, la libération à laquelle aspire tout homme ; libération de toute détresse, de la mort et de ses angoisses. Au cours d’un repas de sa dernière semaine pascale, il a donné sa vie entière, se dessaisissant de toute ambition, même celle de sauver sa propre vie, et donnant le sens abouti et plénier de ce “passage de la mer” : au-delà est la vie remise en Dieu qui n’aura pas de fin. Agissant durant la fête de Pâques, Jésus ne pouvait avoir à table que du pain azyme, le même pain que nous offrons à l’autel eucharistique. Ainsi chaque messe est pour nous une interrogation : pourquoi “le banquet des noces de l’Agneau” est-il composé de ce pain et de ce vin ? Comment nous est donné le Salut de Dieu ? Il faut toujours revenir aux sources de la Parole.

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