Pendant les cinq premiers siècles de l’Église une seule fête mariale était célébrée à Jérusalem. Elle était attachée à un lieu, aujourd’hui en ruines. À la découverte du Kathishma.
Pendant les cinq premiers siècles de l’Église une seule fête mariale était célébrée à Jérusalem. Elle était attachée à un lieu, aujourd’hui en ruines, sur les bords d’une route sur laquelle passe pourtant la quasi-totalité des pèlerins. À la découverte du Kathishma.
Sur la route de Jérusalem à Bethléem, à 350 m au nord du couvent de Mar Élias, les archéologues ont découvert en 1992 les restes du sanctuaire dédié au repos de Marie, le Kathisma. La tradition de cette halte remonte au Protévangile de Jacques, un apocryphe du IIe siècle d’origine judéo-chrétienne.
Les fouilles ont permis de découvrir une église octogonale décorée de mosaïques byzantines. Trois octogones concentriques la dessinent. Au centre un morceau de rocher est apparent, tenu pour l’endroit où Marie s’assit pour se reposer avant d’entrer à Bethléem. À quelque 3 km de là se trouve le tombeau de Rachel qui enfanta sur la route de Bethléem, Ephrata (Gn 35, 16-20).
Parmi les mosaïques il en est une qui mérite attention. Elle représente un palmier aux fruits géants. On se rappelle que dans l’Évangile apocryphe du Pseudo-Matthieu la fuite en Égypte de la sainte famille est commentée ainsi : “Sur l’ordre de Jésus enfant, le palmier se courba pour donner à manger à la sainte famille et une source d’eau jaillit de ses racines”. La palme est également le symbole du juste dans la Bible. Plus tard des pèlerins identifieront l’endroit avec le lieu où l’étoile apparut aux mages.
Trajet apocryphe
Un retour à l’origine de la tradition orchestrée dans le Protévangile de Jacques s’impose : “Joseph sella son âne et fit asseoir Marie. Son fils tirait la bride et Samuel suivait. À la distance d’environ trois milles, Joseph se retourna et la vit triste. Il se dit : ‘Ce qui est en elle, la fait peut-être souffrir.’ Il se retourna de nouveau et la vit souriante. Alors il lui dit : ‘Marie que t’arrive-t-il ? Je vois ton visage tantôt souriant, tantôt triste. ’ Marie répondit à Joseph : ‘De mes yeux je vois deux peuples, l’un en pleurs et en deuil, l’autre, joyeux et se réjouissant.’ Arrivés à mi-parcours, Marie lui dit : ‘Joseph, fais-moi descendre de l’âne : ce qui est en moi m’oppresse pour voir le jour.’ Il la fit descendre et lui dit : ‘Où puis-je te conduire pour mettre ta pudeur à l’abri ? L’endroit est désert.’ Il trouva là une grotte et la fit entrer.”
(17, 2-18, 1).
Marie prévoit de façon prophétique l’accueil de l’Évangile de la part des païens et le refus du peuple juif comme Lc 2, 34 l’avait annoncé. Les deux indications topographiques “trois milles” et “à mi-parcours” sont équivalentes pour indiquer la distance entre Jérusalem et Bethléem.
Il existait aux IIe-IIIe siècle une tradition sur la naissance de Jésus dans une grotte au troisième mille de Jérusalem,
probablement aux mains des judéo-chrétiens, puisqu’un écrit judéo-chrétien nous en informe. Le but de cette tradition était d’identifier Marie à Rebecca et à Rachel qui enfanta sur la route de Bethléem. Image maternelle par excellence, la grotte symbolise une nouvelle naissance, un nouveau départ.
La tradition byzantine n’a pas suivi les indications du Protévangile pour localiser la grotte de la Nativité. Par contre elle a situé au troisième mille de la route de Bethléem une fête mariale que connaissaient les plus anciens calendriers liturgiques de Jérusalem : le lectionnaire arménien (Ve siècle) et le lectionnaire géorgien (VIIIe siècle).
Trajet liturgique
Dans le lectionnaire arménien la fête de Marie la Théotokos est signalée le 15 août au “deuxième mille de Bethléem”. Les lectures bibliques étaient celles d’Is 7, 10-16 : “La Vierge enfante” ; la lettre aux Galates 3, 29-4, 7 : “Vous n’êtes plus esclaves, mais des fils” et Luc 2, 1-7 : “Auguste ordonne le recensement de toute la terre”. Les psaumes de méditation étaient le 109 : “Le Seigneur a dit à mon Seigneur : ‘Siège à ma droite’” et le 131 : “Lève-toi vers le lieu de ton repos, toi et l’arche de ta sainteté” celui-ci donnant le sens ultime de la fête : Marie identifiée à l’arche de l’alliance. Nous avons une typologie centrale.
Les sermons d’Hésychius et de Chrysippe de Jérusalem prononcés à l’occasion de la fête développent le thème de la maternité de Dieu, mais ne contiennent aucune allusion au repos de Marie sur la route de Bethléem.
Jusqu’au milieu du Ve siècle, une seule fête mariale est attestée à Jérusalem : la mémoire de Marie localisée au Kathisma d’après le lectionnaire arménien qui reproduit le lectionnaire de Jérusalem au Ve siècle. Existait-il une église à cette époque ? Une station liturgique en plein air semble difficile à imaginer. Ce n’est que vers 455 que Hikélia, l’épouse du gouverneur qui était devenue diaconesse du Christ, aurait fait bâtir l’église.
Le lectionnaire arménien ne contient aucune allusion à la fête de la Dormition de Marie.
Le lectionnaire géorgien affirme que le 15 août l’assemblée liturgique se tient à Gethsemani pour commémorer l’Assomption ; la fête du troisième mille de Bethléem au Kathisma dans l’église de la Mère de Dieu est anticipée au 13. Le 2 décembre était célébrée la dédicace de l’église.
La vie de saint Théodose le cénobiarque, écrite par Théodore de Pétra confirme la construction et le nom de l’église : “Théodose passa sur l’avis de son maître, à ce qu’on nomme le vieux Kathisma situé près de la grand-route qui mène à Bethléem, à la requête de Hikélia, riche en illustration mondaine, plus riche encore en sainte conduite. C’est elle qui bâtit l’église édifiée en ce lieu en l’honneur de l’immaculée Mère de Dieu et toujours vierge Marie au temps du bienheureux archevêque Juvénal”.
Cyrille de Scythopolis dans sa Vie de Théodose apporte une précision : la bienheureuse et sainte Hikelia bâtissait alors l’église du Kathisma de la Mère de Dieu. Les faits racontés remontent aux premiers temps de la vie monastique de Théodose, sous l’empereur Marcien (450-457). Juvénal, l’évêque de Jérusalem de 422 à 458, est connu pour avoir construit de nombreuses églises à Jérusalem.
Trajet mémoriel
L’église de Gethsemani semble avoir été édifiée au Ve siècle et c’est là qu’aurait été localisée une mémoire de Marie autour de son tombeau vénéré depuis longtemps. Cette église était un bastion de l’opposition au concile de Chalcédoine et donc à Juvénal après 451 comme il ressort du Panégyrique de Macaire de Thou par le Pseudo-Dioscore d’Alexandrie. C’est ce qui expliquerait la construction de l’église du Kathisma par Hikélia où le parti chalcédonien faisait mémoire de Marie, alors que les opposants tenaient pour Gethsemani. Cela dura jusqu’à la fondation de Sainte-Marie-la Neuve, titre donné par opposition à Sainte-Marie-l’Ancienne à Gethsemani. Cette opposition se maintint jusqu’au VIe siècle, époque à laquelle Maurice, auteur d’un décret qui généralise dans l’empire la fête de l’Assomption, est donné comme fondateur de l’église de Gethsemani à la suite de l’expulsion des monophysites.
L’église du Kathisma qui ne fut pas détruite par les Perses en 614 sera transformée en mosquée au VIIe siècle, comme l’indique la présence d’un mihrab.
Les indications géographiques du Protévangile de Jacques sont souvent sujettes à caution. C’est ainsi que l’apocryphe localise à Jérusalem l’Annonciation de l’ange Gabriel à Marie. Des motifs d’ordre polémique ont dû déterminer ces choix. Les apocryphes même judéo-chrétiens doivent être lus cum grano salis (avec un grain de sel, “avec circonspection” NDLR). Par contre les motifs théologiques qui présentent Marie comme la nouvelle Rebecca, la nouvelle Rachel et comme l’Arche d’alliance méritent attention. L’Apocalypse de Jean affirme que l’apôtre eut une vision de l’Arche d’alliance : “Alors s’ouvrit le temple de Dieu, dans le ciel et son arche d’alliance apparut, dans le temple… Un signe grandiose apparut au ciel : une femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l’enfantement” (Ap 11, 19-12, 2). De même le récit apocryphe judéo-chrétien Transitus Mariae raconte l’Assomption de Marie et fait référence à l’Arche d’alliance : pendant que les apôtres portaient le corps de Marie, les mains du grand prêtre qui voulurent offenser Marie devinrent sèches, comme dans la Bible la main de Uzza qui toucha l’Arche d’alliance sans être qualifié (Sm 6, 6-7). Comme l’arche incorruptible, le corps de Marie n’a pas connu la corruption du tombeau.