D’après un rapport récemment publié par l’Association néerlandaise Pax le gouvernement de Damas serait en train de redessiner l’équilibre démographique de Homs, troisième ville du pays.
« Bien sûr que je rentrerais chez moi si je pouvais, mais c’est impossible. Si le régime tombait, on pourrait aussi penser à revenir. Mais ma maison a été détruite. » Parmi les dizaines de milliers d’habitants de Homs contraints de quitter leur ville, Abdallah est l’un d’eux. Rami aimerait lui aussi rentrer chez lui, dans le quartier de Zahraa, mais il est pessimiste : « Il n’y a aucune possibilité de revenir, c’est impossible. Je voudrais revenir à Homs mais pas dans la ville qu’ils ont transformée. »
Avant la guerre, Homs était la troisième plus grande ville de Syrie, avec une population comprise entre 800 000 et 1,3 million d’habitants. Une belle ville, riche et vivante, où vivaient en harmonie et dans un respect mutuel des gens de différentes religions. « Nos voisins étaient alaouites et chrétiens et tout allait bien. Nous n’avons jamais vu les différences entre nous, et les chrétiens et les Arméniens : nous faisions la fête ensemble et pleurions ensemble en temps de deuil – explique Ibrahim, un jeune réfugié –. Quand nous étions à jeûn pendant le Ramadan, par respect, les chrétiens et les alaouites ne mangeaient pas devant nous. Nous célébrions la fête de Nairouz avec les Kurdes et fêtions Noël avec les chrétiens. Et nous le faisions d’un coeur sincère. »
Tout cela a été balayé par la guerre. Homs et sa richesse ont été détruites par une politique ciblée du gouvernement de Damas avec un objectif clair : modifier l’équilibre démographique de la population, afin de consolider la base de leur pouvoir. Un travail d’« ingénierie démographique » qui vise à séparer la population par des lignes ethno-confessionnelles, et qui « outre l’impact dramatique sur la vie de millions de personnes, va aussi compliquer les perspectives d’une paix future. »
La plainte figure dans le rapport No return to Homs. Une étude de cas sur l’ingénierie démographique en Syrie (« Pas de retour à Homs ») traitée par l’association néerlandaise Pax, en collaboration avec The Syria Institute. Le gouvernement de Bachar al-Assad – lit-on dans le rapport qui fera réagir – aurait utilisé des tactiques militaires (comme des sièges, un blocus, des bombardements aveugles à l’encontre des cibles civiles, des assassinats et des déplacements forcés) pour modifier l’équilibre démographique du pays. Les premières cibles seraient les habitants de ces quartiers et de ces villes particulièrement liées à l’opposition au gouvernement de Damas.
L’événement tragique d’Alep est le cas le plus récent, mais en 2014, la même stratégie aurait été mise en place à Homs et à Darayya. « Nous sommes confrontés à une campagne planifiée pour détruire des communautés entières », commente Marjolein Wijninckx, présidente de Pax. Celle-ci montre comment ces opérations ne sont pas seulement des crimes de guerre, mais bien de véritables crimes contre l’humanité.
Aujourd’hui Homs a perdu plus de la moitié de ses habitants (le nombre de personnes restées dans la ville serait entre 200 000 et 650 000). Ceux qui l’ont quittée étaient surtout les habitants du centre historique et de la périphérie à majorité sunnite. Le centre de Homs, par exemple, « a été vidé entre le 7 février et le 9 mai 2014 au moyen d’une série de déplacements forcés », lit-on dans le rapport, dont seulement une centaine de personnes ont pu s’enfuir. « Bien qu’on parle d’évacuation pour ce type d’opérations, il s’agit en réalité de capitulations forcées, effectuées dans des conditions de contraintes extrêmes où les résidents piégés n’ont pas d’autre choix que de se rendre ou mourir », explique Pax.
Au cours de ces opérations, fut également critiqué le rôle des Nations Unies qui – aux yeux des réfugiés – ont joué un rôle de complicité avec le régime et n’ont pas suffisamment protégé les personnes évacuées, en particulier les centaines d’hommes arrêtés pendant le filtrage à la sortie de la ville.
Depuis que le gouvernement de Damas a pris le contrôle de la ville, seuls quelques-uns ont ont pu revenir dans les quartiers de Qusoor, Qarabeis et Hamidieh, quartiers rebelles durement frappés par les bombardements gouvernementaux. « Le fait que le quartier majoritairement chrétien de Hamidieh soit l’un des rares dans lequel la population ait été autorisée à revenir, et l’un des premiers à être aidé par les Nations Unies, a exacerbé le ressentiment sectaire parmi les réfugiés », indique le rapport.
Qui veut rentrer chez soi doit alors faire face à une série de nouveaux obstacles bureaucratiques. Le gouvernement de Bachar al-Assad a en fait adopté une série de lois rendant plus difficile pour les propriétaires de certifier la possession des maisons détruites dans les zones bombardées. Tandis qu’un tribunal spécial anti-terrorisme peut légalement confisquer des biens et la propriété des condamnés.
« Le gouvernement syrien – conclut le rapport – a utilisé Homs comme banc d’essai. En répétant le même schéma fait du siège, de destruction et des déplacements forcés de la population dans tout le pays ». Dans une Syrie profondément marquée par le conflit et où plus de la moitié des habitants ont dû quitter leurs maisons, « il est essentiel d’impliquer les réfugiés syriens et de leur donner la possibilité de s’exprimer sur l’avenir de leurs communautés. »
Dans ce scénario, la reconstruction de Homs apparaît comme un moment crucial. « Tant que les anciens habitants ne seront pas impliqués, le risque est que les acteurs internationaux impliqués dans le conflit permettent au gouvernement syrien de tirer bénéficie des crimes de guerre commis – indique le rapport –. Cela ne fera qu’aggraver les divisions sociales et saper les efforts futurs de réconciliation. »