Guerre au Yémen et trafic d’enfants, de nouvelles portes d’entrées afin de perpétuer cette traite inhumaine.
Le trafic d’enfants au Yémen n’a malheureusement jamais été l’affaire d’une minorité. Dans la seule ville de Haradh – dans le district du même nom situé à l’extrême nord-ouest du pays à la frontière avec l’Arabie saoudite – la section yéménite du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) avance le chiffre de 500 enfants enlevés et vendus par leurs familles, chaque mois, afin qu’ils partent exercer des activités illégales en Arabie Saoudite. Trafic de drogue, travaux forcés et exploitation sexuelle font partie de cette triste liste.
Les chiffres sont élevés mais il s’agit seulement des données obtenues à partir de l’interception des victimes de cette traite humaine et des arrestations. Ils suffisent à montrer combien le phénomène, causé par l’extrême pauvreté, l’ignorance, le chômage, l’absence d’un système éducatif obligatoire et la connaissance des lois internationales à même de garantir les droits fondamentaux de ces enfants, est répandu. Dans le Centre pour la protection de l’Enfance de Haradh – qui s’occupe d’intercepter les enfants, de les identifier et de les restituer à leurs familles après avoir pris soin d’eux – 500 enfants transitent chaque année. Mais les chiffres ne peuvent rendre compte de ce que cette misère inflige au physique et au psychisme des enfants, dans certains cas de manière irréversible.
Depuis mars 2015, soit le début de la guerre entre le Yémen du Nord – contrôlé par les rebelles Houthi – et la coalition – dirigée par l’Arabie Saoudite – qui défend le gouvernement loyaliste ; le district de Haradh a vu une baisse significative du commerce illicite d’enfants. Cela à la fois en raison de la proximité de la frontière et donc d’un contrôle accru des personnes et des marchandises à destination et en provenance de l’Arabie Saoudite et d’autre part en raison du contrôle de la zone par les Houthi qui en ont fait leur base arrière pour attaquer les Saoudiens.
Au niveau national, le nombre de victimes ne semble pourtant pas diminuer : les routes de la servitude auraient simplement été déviées. Voici ce que l’ONG The Mona Relief Organization révèle : des centaines d’enfants âgés entre 5 et 15 ans transiteraient via la zone portuaire d’al-Mukalla notamment via le réseau d’Al-Qaïda présent dans tout le pays.
L’ONG susmentionnée a fondé son rapport sur une série de témoignages issus de deux régions : Abyan – où al-Qaïda possède un contrôle complet – et la zone portuaire d’al-Mukalla où un gradé de la police Yéménite (Yemen Central Security Forces), dont l’identité demeure anonyme pour des raisons de sécurité. Il affirme : « les enfants victimes du marché de la prostitution sont destinés à de riches clients des pays du Golfe Persique, mettant les voiles depuis le port de Mukalla vers l’Ethiopie ou Djibouti, ou directement de Mukalla à destination des acheteurs. Al-Qaïda a empoché des millions de dollars via ce trafic et la guerre n’a fait qu’accélérer l’entreprise ».
La modification des itinéraires et la faiblesse des contrôles dans la région, en partie à cause de la guerre, laissent ces crimes impunis. S’ajoute à cela le fait que, en raison de la nature de ces crimes, les communautés et les familles sont toujours récalcitrantes à l’idée de porter plainte. La peur de la stigmatisation, l’exclusion sociale, les menaces de répercussions sur le groupe tribal, la honte mais aussi la défiance en l’univers médiatique ne contribuent pas à l’enregistrement de ces actions criminelles.
Enfin, pour celles et ceux qui tentent d’enquêter sur les itinéraires de trafic, la persécution est implacable. En 2014, à Sanaa, nous avons rencontré l’avocat Ahmed Abdulmalik Almutawakil, qui dans de nombreuses situations fournit une assistance juridique aux mineurs accusés de trafic de drogue ou autre comportement criminel et qui a été en mesure d’envoyer à la barre les exploitants, les kidnappeurs et les contrebandiers. L’avocat Almutawakil – dont la vie tourne désormais autour de l’invention de stratagèmes afin de sauver sa peau et celle de sa famille – a dû faire face à des menaces et des intimidations de la part de ceux membres d’un gang, qu’il a lui-même identifié, à Sanaa et qui se consacre au marché la pornographie des enfants des enfants. « Les menaces nous ont été adressées à moi et à ma femme pendant trois longues années, pour que je cesse mes enquêtes. Mais je n’ai pas cédé alors ils ont enlevé ma fille ». L’affaire s’est partiellement résorbée avec la libération de la jeune fille, mais Abdulmalik a dû produire séries de documents et se référer à plusieurs reprises aux autorités afin d’obtenir de la justice la reconnaissance de son statut de citoyen injustement persécuté. « Je suis effrayé, mais je vais de l’avant » confie-il. Il le répète encore aujourd’hui, malgré la guerre.