Le vendredi 21 octobre a eu lieu la deuxième édition de ce marathon israélien organisé en Cisjordanie occupée. Environ 2000 coureurs, dont beaucoup de colons juifs, y ont participé.
(Ramallah) – Les environs du site archéologique de Shilo, à 37 km au nord de Jérusalem, sont noirs de monde en ce 21 octobre au matin. Mais ce ne sont pas des touristes, aujourd’hui, que les centaines de voitures garées là déversent sur la colline inondée de soleil : ce sont des coureurs de tout âge, ainsi que leurs supporters. Leggins en Licra et tee-shirts fluo ont envahi la vaste piste de sable roux qui domine ces pentes arides et parsemées d’oliviers. C’est ici que se trouve la ligne d’arrivée des quatre courses proposées – marathon, semi-marathon, 10 km et 5 km.
En observant ces quelque 2000 sportifs, on note toutefois qu’entre les lunettes de sport dernier cri et les gourdes ergonomiques, beaucoup d’hommes portent les peot ces mèches de cheveux (une de chaque côté du visage) typiques des juifs orthodoxes, et la kippa, tandis que les femmes dissimulent leurs cheveux sous des foulards colorés. Des coureurs comme les autres ? La plupart font partie des 400 000 colons juifs israéliens qui vivent en Cisjordanie, illégalement selon le droit international. La course à laquelle ils prennent part s’appelle le « marathon de la Bible ». C’est sa deuxième édition, après une première en avril 2015.
« Un événement pareil, cela nous lie encore plus intimement à notre terre et à notre histoire », affirme en souriant Sury Provisor, 55 ans, qui vit à Shilo depuis 22 ans et vient de courir le 5 km. « C’est si beau, si fort, si excitant de courir ici ! » Comme la plupart des participants, cette dynamique quinquagénaire peut raconter sans peine l’histoire de ce marathon biblique. « Le plus ancien du monde, bien avant les Grecs », assurent les plus passionnés.
L’épisode rapporté dans la Bible se serait déroulé vers 1050 avant J.-C. Les Philistins viennent de vaincre les Israélites à Afek, dans le centre d’Israël. Juste après la bataille, « un homme de la tribu de Benjamin » (1 Samuel 4, 12) se rend à Shilo en courant pour informer son peuple de la cuisante défaite. Or la distance entre les deux sites serait précisément de 42 km, la longueur officielle d’un marathon…
« Ce jour-là, il y a 3000 ans, un homme a couru pour annoncer une mauvaise nouvelle. Mais aujourd’hui, c’est une très bonne nouvelle : nous sommes revenus ! » Israël Ganz est du genre décomplexé. C’est le chef adjoint du Conseil régional de Mateh Binyamin, qui regroupe 42 colonies en Samarie. Il veut croire que ce marathon au budget pour l’heure modeste (environ 100 000 shekels, soit 24 000 euros, contre 12 millions de shekels pour le marathon de Jérusalem) deviendra d’ici quelques années le plus important d’Israël. Le pays en compte cinq aujourd’hui : Jérusalem, Tel Aviv, Eilat, Tibériade, et celui-ci, en Cisjordanie, qui relie Rosh Ha’ayin (sur le site de l’antique Afek) et Shilo.
« Même si le tracé de la course se trouve exclusivement en zone C (contrôlée par Israël, ndlr.), cela reste un événement très compliqué à organiser », assure Israël Ganz. L’un des principaux enjeux étant d’assurer la sécurité des coureurs, « des centaines » de soldats et policiers israéliens ont été déployés, notamment pour couper certaines routes empruntées par les Palestiniens. « Même dans ma voiture, je me sens souvent en insécurité sur ces routes », raconte Moria, jeune mère de sept enfants vivant dans la colonie voisine d’Eli. « Alors qu’est-ce que c’était agréable de pouvoir y courir librement ! »
Beaucoup des coureurs présents ce matin assurent ne pas être venus pour faire passer un message politique, mais par amour du sport et de la nature. « La politique, c’est toute l’année, mais aujourd’hui ce sont les vacances (les juifs fêtaient Souccot jusqu’au 23 octobre, ndlr.) », déclare Tuvia Kordover. Ce grand-père de 65 ans est venu de la côte méditerranéenne, près de Netanya, pour courir le 5 km avec ses deux petits-fils de 11 et 9 ans. Eux vivent à Shilo. Le vainqueur du marathon, Ariel Rosenfeld (il l’a terminé en 3 h 40), se défend lui aussi de toute velléité militante. « J’aime courir dans des lieux historiques, comme en Grèce ou ici », explique simplement l’athlète israélien de 43 ans.
Tous valorisent la dimension historique de cette course. Les uns assurent avoir « senti l’histoire dans l’air », les autres ont eu l’impression de « remonter le temps ». Et beaucoup ont ainsi cherché à s’approprier, par les pieds, une terre dont ils savent bien qu’elle n’est pas leur juridiquement.
Alors que le président Obama a encore durci le ton récemment contre les colonies israéliennes en Cisjordanie, ce qui a ouvertement inquiété le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou mercredi 19 octobre, les colons rencontrés au « marathon de la Bible » n’ont pas montré le moindre signe de doute ni d’appréhension. Plutôt une confiance tranquille, et parfois déconcertante de candeur : certains disent même « rêver » de voir des Palestiniens participer à leurs côtés aux prochaines éditions de cette course. Dans un territoire aussi blessé et morcelé que la Cisjordanie d’aujourd’hui, de telles déclarations ne peuvent que laisser coi.