Le voyage du pape François en Géorgie et en Azerbaïdjan débute aujourd’hui. Fin connaisseur des deux pays et de leurs chrétiens, nous avons pu interviewer le nonce Claudio Gugerotti.
« La Géorgie et l’Azerbaïdjan, où le pape François s’apprête à atterrir semblent ne pas avoir marqué l’histoire. Mais cela est faux : la visite du pape est extrêmement importante et peut apporter une contribution significative à la paix, et pas seulement sur ces terres » exprime Monseigneur Claudio Gugerotti, actuel nonce apostolique en Ukraine et, de 2002 à 2011, représentant du pape en Arménie, en Géorgie et en Azerbaïdjan. Terrasanta.net avait déjà interviewé une première fois Mgr Gugerotti en juin, à l’occasion de la visite du pape Bergoglio en Arménie. Aujourd’hui, nous poursuivons notre dialogue sur la Géorgie et l’Azerbaïdjan, où François a atterrit ce jour, 30 septembre, et restera jusqu’au dimanche 2 octobre.
L’Arménie et la Géorgie des nations sont fermement chrétiennes et fières de l’être. Selon la tradition, les apôtres Barthélemy et Thaddée auraient d’abord prêché en Arménie puis c’est l’apôtre André, frère de Pierre, qui regagna la Géorgie. L’Azerbaïdjan en revanche est un état musulman où vivent néanmoins une minorité chrétienne orthodoxe et un très petit nombre de catholiques (300 au total). On y trouve aussi une communauté juive très enracinée historiquement, les « juifs de la montagne », installés en ces terres à une date période encore inconnue.
Nonce Gugerotti vous avez pu visiter le Caucase plusieurs années avant la chute du mur de Berlin.
La première fois que je me suis rendu en Géorgie c’était en 1976. J’étais alors étudiant en langues orientales à l’Université Ca ‘Foscari de Venise et me rendait en Arménie pour étudier. Durant une étape à Tbilissi, on m’avait indiqué une des quatre églises catholiques qui n’avait jamais été fermé bien qu’étant dans une capitale soviétique. Le curé, originaire de Pologne et plus exactement de Vilnius, était à peine toléré et contrôlé par les autorités. Il vivait une situation difficile et une grande solitude : il était à des milliers de kilomètres de tout autre prêtre catholique et devait être toujours très prudent. Je découvrais non sans intérêt que de nombreuses personnes, des quatre coins de l’Union soviétique venaient à Tbilissi faire baptiser leurs enfants. Ils y trouvaient une église ouverte, et, bien loin de leurs demeures – tout près de la frontière avec la Turquie – l’espoir que les services secrets soviétiques ne sauraient rien de leur démarche. Puis, en 1988, il y a eu un tremblement de terre dévastateur en Arménie…
Qu’est-il arrivé à ce moment ?
A l’occasion de ce tremblement de terre, les autorités soviétiques, pour la première fois, ont accepté l’aide de Caritas ; nous pouvions porter secours aux populations et, entre autre chose, finalement rencontrer les chrétiens locaux. Depuis la zone du tremblement de terre, en quelques heures, nous pouvions atteindre les communautés arméniennes catholiques et latines, tout comme les régions montagneuses de la Géorgie. Trois prêtres exerçaient leur ministère : un vrai luxe au regard de l’absence totale de prêtres dans les autres régions de l’Union soviétique… Quelques mois plus tard, en 1989, n événement d’une importance fondamentale eut lieu : le président de l’Union soviétique, Mikhail Gorbatchev, se rendait au Vatican pour rencontrer le pape Jean-Paul II. Peu après, Mgr Francesco Colasuonno était nommé représentant du Saint-Siège auprès l’URSS et – lorsque l’Union soviétique s’est effondrée – de la soi-disante Communauté des États indépendants (CEI). J’ai été envoyé pour accompagner Mgr Colasuonno alors qu’il se présentait aux nouveaux présidents de l’Arménie et de la Géorgie.
Quel accueil avez-vous reçu ?
Excellent. Zviad Gamsakhourdia, le premier président de la Géorgie, demanda une aide concrète pour son pays. Ainsi est née l’idée de construire un centre de santé, avec la collaboration des Camilliens de Tbilissi. Jean-Paul II était enthousiaste et voulait qu’il soit appelé comme l’une de ses encycliques, Redemptor Hominis. Quelques années après le nouveau président de la Géorgie, Edouard Chevardnadze, qui était également ministre des Affaires étrangères de l’Union Soviétique, a dit qu’il considérait Jean-Paul II comme la plus grande personne du siècle.
Comme François, Jean-Paul II est allé en Arménie, en Géorgie et Azerbaïdjan. Qu’est ce qui a changé depuis la visite du pape Wojtyla ?
Jean-Paul II a visité le Caucase quelques années après la chute du régime communiste, dans un contexte qui lui était très familier. Désormais l’Union soviétique est un souvenir. La Géorgie est politiquement un peu plus stable, quoique des soulèvements et des coups adviennent, et elle a décidé de se rapprocher des Etats-Unis et du bloc occidental, même si au cours de ces dernières années son ressentiment anti-russe diminue. Cependant, la Géorgie demeure un pays avec de graves problèmes économiques, et les relations entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe ne sont pas toujours simples. La vie de la population géorgienne n’a pas beaucoup changé depuis la visite de Jean-Paul II. L’Azerbaïdjan au contraire, a connu avec la stabilisation politique une grande prospérité, grâce au pétrole, il s’est enrichi. C’est un pays qui dispose de revenus élevés mais pas toujours répartis de manière équitable. Le vrai problème actuel de l’Azerbaïdjan c’est celui de ses voisins musulmans.
Où ?
L’Azerbaïdjan, qui connait un islam modéré, a vu croître et se refermer sur lui comme un étau le fondamentalisme islamique. Tant au Nord, c’est-à-dire dans les pays de la Fédération de Russie (comme la Tchétchénie et le Daghestan), qu’au Sud, en raison d’une certaine approche de l’islam répandue en Iran, en Arabie Saoudite et chez ses alliés. L’Azerbaïdjan, il faut le rappeler, a toujours eu une grande tolérance envers les autres religions et a évité qu’il y ait une religion d’Etat unique, assurant la coexistence pacifique entres les communautés. Avec sa visite, le pape soutient la ligne de la modération choisie par le gouvernement et renforce la position de l’état azerbaïdjanais qui ne veut pas tomber dans les mains de l’intégrisme islamique. La visite du pape va certainement promouvoir ce projet.