Dan Caspi, ancien professeur de communication, a décrit pour le magazine Terre Sainte dans sa version italienne, les effets des stéréotypes anti-arabes dans les médias israéliens. Voici son interview complète.
« Au cours du long conflit israélo-arabe, la construction du mur de séparation entre Israël et les territoires palestiniens a été précédée par des efforts communs pour construire une autre barrière : le mur qui endigue le flux d’informations sur les Palestiniens et qui influence le développement du conflit », témoigne Dan Caspi, 71 ans, professeur émérite en communication à l’Université Ben Gourion du Néguev, membre à diverses reprises de l’Autorité pour les télécommunications israéliennes, plume reconnue et aujourd’hui bloggeur pour le journal Haaretz.
« Nous pouvons dire – observe le professeur Caspi – que plus la distance physique entre les adversaires se raccourcissait plus haut s’élevaient les murs de l’ignorance mutuelle. Au cours des dernières années, et surtout au cours de la deuxième Intifada, le public israélien s’est retranché derrière ce mur d’information : presse, télévision et nouveaux médias partagent une grande responsabilité dans son maintien et dans le fait que cette société déjà introvertie se soit retirée dans sa coquille avec une faible connaissance de ce qui advient au-delà du mur ».
Professeur, quels sont les médias en Israël qui essayent de briser ce mur ?
On dit qu’un des dirigeants du parti [centre-droit] du Likoud aurait dit : « Je n’aime pas Haaretz pour son idéologie [gauchisante] mais c’est le seul journal en Israël ». Israël Hayom [journal le plus diffusé car distribué gratuitement aux frais du roi du casino et milliardaire américain Sheldon Adelson – ndlr] est entièrement au service du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Les deux autres grands journaux, Yedioth Ahronoth et Maariv, doivent trouver un terrain d’entente afin d’affirmer une position patriotique. Le service public de radiodiffusion dépend actuellement du premier ministre qui est également ministre des Communications, tandis que les deux stations de télévision commerciales, Canal 2 et Canal 10, presque prises en otage, n’osent contester le consensus régnant. Apparemment, les médias numériques ne parviennent pas mieux à offrir une alternative crédible aux médias les plus populaires. Les sites les plus visités – YnetNews, Walla et Nrg – doivent s’aligner sur le consensus national par crainte de perdre des lecteurs. Même les sites les plus partisans, comme Arutz Sheva pour les colons ou Behadrei Haredim pour les ultra-orthodoxes ne menacent en rien le mur d’information qui a été érigé. La plupart des groupes extrémistes, qu’ils soient de gauche ou de droite, conservent un grand nombre de sites qui ont une portée limitée et ceux-ci s’adressent généralement à leurs adeptess.
Voyez-vous des changements chez les jeunes journalistes qui écrivent pour des magazines exclusivement en ligne ?
Le fait est que les quelques sites en anglais qui publient des informations complémentaires et des opinions qui défient le consensus installé, comme +972 Magazine ou Al Monitor, ne sont presque jamais visités par les Israéliens. De façon générale, le public israélien a tendance à éviter de s’exposer à la lecture de médias étrangers ou rédigés dans d’autres langues. Malgré la disponibilité d’une nuée de chaines de télévision étrangères ou d’un câble en plusieurs langues, les Israéliens préfèrent se renseigner par le biais de sources locales.
Le journal Haaretz, depuis deux ans, organise deux conférences internationales sur l’état de la démocratie en Israël et sur les négociations de paix. Êtes-vous d’accord avec ceux qui évoquent un « tournant militant » de votre journal ?
Haaretz a toujours été critique envers la politique du gouvernement. Ce n’est que dans Haaretz que l’on peut lire ce qui n’est publié dans aucun autre média, pour exemple qu’en janvier dernier a été organisée à Marrakech, sous le patronage du Roi Mohammed VI, une conférence du Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés islamiques qui s’est conclue par une déclaration condamnant l’Etat Islamique et d’autres groupes extrémistes. Plus de trois mille chefs religieux musulmans étaient réunis pour discuter de l’avenir et du bien-être des minorités religieuses dans les pays islamiques. Les autres médias israéliens ont non seulement ignoré l’événement mais continué à alimenter une campagne islamophobe basée sur la théorie du choc des civilisations. Presque tous les médias israéliens, excepté Haaretz, publient les communiqués de presse du gouvernement cachant au public tout ce qui se passe derrière le mur. Quiconque ose être en désaccord avec le gouvernement est perçu comme étant de « gauche », non patriote, et parfois même antisémite. Les médias traditionnels, encore une fois à l’exception d’Haaretz, répètent d’une même et seule voix le mantra du gouvernement sur le conflit avec les Palestiniens : « Nous n’avons pas de partenaire pour la paix ; Mahmoud Abbas n’est pas un partenaire pour les négociations ».
Vous parlez aussi des «gardiens du mur ». Qui exerce cette fonction aujourd’hui ?
Le mur de l’information, comme tout autre mur, a besoin de superviseurs qui contrôlent le flux et surtout la qualité de l’information mis à la disposition du public au sujet des Palestiniens. Aujourd’hui, chaque publication a son bureau des Chroniques arabes avec au moins un rédacteur en chef, éditeur et commentateur. Ils obtiennent les nouvelles via les services des renseignements qui leur fournissent des séquences d’information sur ce qui se passe au-delà du mur et pourquoi. Seuls quelques journalistes, tels Gideon Levy et Amira Hass de Haaretz ou Ohad Nemo de Channel 2, osent se rendre personnellement au-delà du mur. Mais je doute que le public soit intéressé par leurs reportages. Un diplomate égyptien a bien décrit la situation dans les années soixante en disant que les journalistes israéliens connaissent tout des pays arabes mais n’en comprennent rien.