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Les archives historiques préparent leur avenir

Marie-Armelle Beaulieu
18 mars 2016
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C’est le "saint des saints" de la Custodie. Il y est plus difficile d’y entrer que de pénétrer dans le bureau du custode. Ce sont les archives historiques de la Custodie.


C’est le Saint des saints de la Custodie. Il y est plus difficile d’y entrer que de pénétrer dans le bureau du custode. Ce sont les archives historiques de la Custodie.
Pourtant, les chercheurs sont toujours plus nombreux à y accéder tant elles recèlent de trésors. Les archives ont ouvert leurs portes à Terre Sainte Magazine.

Dans le couvent Saint-Sauveur des franciscains de Jérusalem, il y a un endroit auquel peu de gens ont accès, y compris parmi les frères.

Il faut pour le moins montrer patte blanche. Il y a quelques années encore, les “archives historiques de la Custodie” se trouvaient au beau milieu de la clôture des frères, les appartements privés des religieux en quelque sorte. Depuis 2013, elles ont été installées dans des locaux spécialement conçus pour elles. Leur fonctionnalité a été d’autant mieux étudiée que déjà un travail colossal était en cours qui consistait en un catalogage systématique. Le responsable aujourd’hui en est le frère Sergey Loktionov.

“Les archives historiques de la Custodie de Terre Sainte, explique-t-il, ont pris ce nom en 1975. Auparavant, elles ont porté divers noms et se trouvaient dans différents lieux. De 1476 à 1933, nous avons recensé jusqu’à 22 dénominations pour les archives. Aujourd’hui ces archives historiques font partie intégrale de notre province religieuse et ont pour rôle de conserver la documentation qui a été produite par la Custodie de Terre Sainte et plus précisément la “Curie custodiale”, le gouvernement général.

S’il n’y avait que cela aux archives, ce serait déjà impressionnant mais frère Sergey poursuit. “Avec le temps, la Custodie s’est rendu compte qu’il était impossible que chaque entité de la Province : sanctuaire, convent, hospice, école, orphelinat etc. ait ses propres archives historiques. Dans la région, nous dénombrons 56 maisons ! Il n’est pas envisageable que chaque couvent soit au niveau pour prendre soin d’une histoire de plus de 800 ans. C’est pourquoi en 2004, la Custodie a pris la décision de rassembler toute la documentation antérieure à 1970 en un seul lieu. Notre archive est donc désormais “d’agrégation”, car elle réunit des documents en provenance de toutes les entités de la Custodie.”

Patte blanche

Depuis qu’elles sont dans leurs nouveaux locaux, les archives reçoivent de plus en plus de visiteurs. Pour autant frère Sergey rappelle : “Nos archives ne sont pas publiques. Si quelqu’un veut y avoir accès, il doit faire une demande en bonne et due forme. Cette demande sera évaluée par l’archiviste.” Pour autant, il tempère : “Cela ne veut pas dire que nos archives sont fermées. Elles sont ouvertes aux chercheurs mais certains domaines restent réservés. C’est comme dans une famille. Vous pouvez montrer le portrait de votre grand-mère, mais vous ne faites pas lire ses lettres à n’importe qui. Et si vous le faites, c’est parce que ces personnes sont capables de les interpréter de la façon la plus juste.”

A dire vrai, les archives ont un peu plus à faire valoir que des lettres de grand-mère. En 2012, la Custodie publiait un catalogue en trois volumes recensant 7380 unités archivistiques. “Une unité archivistique, explique frère Sergey, c’est une rubrique ou un thème. Mais jusqu’à ce jour, nous ne sommes pas encore capables de savoir combien de pages ou documents sont rassemblés au sein de chaque unité archivistique. Il faudrait les ouvrir page par page.” Chaque unité peut comporter des dizaines de pages. Pour importante qu’ait été la publication de ce catalogue, ce n’est pas une fin. “Depuis la publication du catalogue, nous avons encore archivé et inventorié 2400 nouvelles unités, et les arrivages se poursuivent. J’espère recevoir cette année encore 2000 autres unités à cataloguer.” La Custodie est tellement grande que la documentation arrive de toute part et tous les dépôts de la Custodie n’ont pas encore été dépouillés.

A priori, les locaux ont été prévus pour ces nouveaux arrivages. Tout ce travail de catalogage est naturellement numérisé, entré dans une base de données et répond à des critères scientifiques internationaux. Le seul regret de frère Sergey, c’est que le catalogue de 2012 ne soit disponible qu’en italien. “Il faut dire qu’un très grand nombre des documents dans les archives sont en italien puisque c’est la langue officielle de la Custodie.” Mais on trouve aussi du latin, turc, arabe, espagnol, arménien, français, hébreu, croate, russe et encore du japonais ou du coréen !

Frère Sergey, comme son prénom l’indique est slave. Plus exactement il est russe, catholique de rite oriental. On se demande un peu comment il a découvert les chemins de Jérusalem et de la Custodie. Ce qui est sûr, c’est qu’il aime sa province et qu’il donne de sa personne dans les différentes fonctions qui lui ont été attribuées.

Mais comment ce chirurgien de l’armée russe est-il devenu archiviste ? Il parle de ses prédécesseurs dont un avait une santé chancelante et l’autre frère Narcyz Klimas, qui le seconde aujourd’hui, a été envoyé à Rome où il enseigne. Quant à lui, il venait d’être ordonné prêtre et était entré dans le camps des forces vives et disponibles.

“Je suis entré aux archives en septembre 2013. Ma formation est médicale mais j’ai toujours aimé l’histoire. Mon père travaillait dans des archives. Jeune homme j’ai donné un coup de main dans les archives de ma paroisse.” Si frère Sergey n’a pas suivi un cursus officiel d’archiviste, néanmoins il a bénéficié de cours privés en Italie auprès du professeur Maiarelli qui a travaillé au catalogue des archives historiques. Il apprend vite et il ajoute avec humour : “Avec ma mentalité de militaire tout doit être carré et parallèle, blanc ou noir. Cela m’aide beaucoup pour mettre de l’ordre dans les archives !”

Et de l’ordre il en met encore et sans cesse. Une des richesses des archives ce sont ses firmans. Mais “nous nous sommes rendu compte que la classification antique ne correspondait plus à l’état actuel. Et à mesure que des chercheurs capables de lire de tels documents nous partagent leur travaux, nous réalisons que tant de choses liées à notre histoire nous échappent et restent à étudier.” Y a-t-il encore des découvertes à faire ?, s’étonne la journaliste “Mais bien sûr ! s’exclame-t-il. C’est justement le travail de l’archiviste : partir à la recherche d’un document. Ouvrir une “armoire close”, dont personne ne sait ce qu’elle contient et en percer les secrets.”

Continuité

Mais ce qui fascine frère Sergey c’est que : “L’histoire que nous franciscains avons ici en Terre Sainte n’est pas un mythe. C’est une chose objective à laquelle ces documents nous donnent accès. C’est parfois émouvant, quand tu tires un document et que tu le lis. Il est du XVe siècle et te parle d’un sujet bien réel. Ce n’est pas une blague de frère que l’on raconte siècle après siècle, c’est une histoire bien réelle. Elle a pu certes être interprétée et doit être mise en contexte, mais elle est documentée. Certains documents témoignent que des sanctuaires ont été achetés ou offerts aux frères. Ils sont rattachés à l’histoire biblique et à l’incarnation de Jésus. Ils ont traversé l’histoire pour être confiés aux frères, c’est-à-dire aussi à moi-même qui suis franciscain. Cela donne une profondeur et de la chair à l’Histoire elle-même. Les archives ne sont pas une chose morte, elles vivent, grandissent, se révèlent, vont de l’avant. Elles nous rattachent aujourd’hui à tous nos prédécesseurs en nous permettant de toucher du doigt leur propre histoire.”