Cet architecte palestinien de 56 ans a mené de nombreux projets de conservation en Terre Sainte. Ce qui compte le plus pour lui, sont pas tant les vieilles pierres que les hommes qui continuent de vivre à proximité.
Cet architecte palestinien de 56 ans a mené de nombreux projets de conservation en Terre Sainte. Sa spécialité ? Les sites chrétiens contenant des mosaïques. Ossama Hamdan est pourtant musulman… Ce qui compte le plus pour lui, ce ne sont pas tant les vieilles pierres que les hommes qui continuent de vivre à proximité.
Ce n’est pas son premier projet architectural, loin de là. Mais Ossama a beau en avoir vu d’autres, son enthousiasme ne semble nullement avoir été atteint par la lassitude de l’expérience. Au contraire : son énergie est comme décuplée. “Venez voir, j’ai avancé le mur de la salle de bains !” lance le quinquagénaire à ses collègues, le regard éclairé d’une joie enfantine.
Nous voilà dans un village minuscule, aux confins de la Cisjordanie. À peine 400 Palestiniens vivent ici, à Nisf Jubeil, dans les reliefs ruraux du nord-est de Naplouse. Ossama et son Centre de mosaïque de Jéricho (voir encadré) ont entrepris d’y ouvrir une chambre d’hôtes, dans l’espoir d’accroître le rayonnement touristique de Sébastia, cité voisine à l’histoire millénaire.
Pour la salle de bains de ce gîte encore en construction, l’équipe a imaginé un mur composé de fragments d’assiettes en céramiques, colorées et dépareillées. Ossama s’en donne à cœur joie. Assis par terre comme face à un jeu de cubes, il pioche dans un tas de céramiques cassées avant d’en déposer méticuleusement les morceaux sur la surface de béton.
Ossama Hamdan est un manuel. Il n’y a qu’à voir ses mains aux doigts courts et aux paumes bombées. Des mains plus habituées à braver le froid et à fréquenter des pierres immémoriales qu’à tapoter sur un clavier d’ordinateur…
Quand on demande à sa collègue depuis plus de quinze ans, Carla Benelli, historienne d’art italienne de l’ONG de la Custodie ATS-Pro Terra Sancta, de décrire en quelques mots ce spécimen de l’architecture palestinienne, plusieurs expressions lui viennent d’emblée à l’esprit : “très professionnel”, “un esprit libre et indépendant”, “engagé pour son pays”.
Son pays, la Palestine, Ossama ne l’a jamais oublié. Même s’il a vécu en Italie entre ses 20 et ses 34 ans. Le temps de faire de longues études d’architecture à Turin, d’apprendre l’italien, de commencer à travailler, et de laisser passer la première Intifada : “Reste en Italie, il n’y a rien à faire ici !” lui avait exhorté sa famille depuis Jérusalem. Ce séjour prolongé lui a surtout permis de rencontrer la femme de sa vie, une Italienne de la région de Turin avec laquelle il a eu deux filles d’aujourd’hui 19 et 17 ans.
Issu d’une famille modeste musulmane de Jérusalem, né dans la vieille ville en 1960, Ossama est le seul de ses quatre frères et sœur à avoir fait des études supérieures, a fortiori à l’étranger. Ce sont ses grands frères qui lui ont permis de partir en Italie : il leur en a toujours été reconnaissant. Ossama, son épouse et ses filles vivent aujourd’hui à Abou Tor, un quartier de Jérusalem-Est abritant des juifs aussi bien que des arabes.
Art universel
Redonner vie à l’art de la mosaïque en Palestine : voilà l’ambitieux programme de cet homme aux cheveux en boucles argentées. “Si j’aime cet art, c’est parce qu’il fait partie de l’histoire des Palestiniens. C’est notre héritage culturel. Et puis, on trouve des mosaïques aussi bien dans des synagogues que dans des églises ou des mosquées…” La Palestine de demain ne devra pas, à l’entendre, se construire en niant ses multiples identités religieuses, mais en valorisant cette diversité.
En redonnant aux Palestiniens accès à leur patrimoine culturel, Ossama Hamdan espère contribuer à leur offrir l’identité dont les privent, selon lui, l’occupation israélienne de la Cisjordanie et l’annexion de Jérusalem-Est. “Israël a beaucoup investi dans l’Histoire, assure-t-il, pour que les Palestiniens deviennent un jour un groupe minoritaire sans identité. Comme les Indiens d’Amérique : on ne les voit plus que comme un peuple qui a existé jadis… une simple pièce de musée.”
La passion d’Ossama pour la mosaïque est née il y a tout juste vingt ans, en 1996, alors que la Palestine vivait les journées d’espoir qui ont suivi la signature des accords d’Oslo de 1993. Fraîchement rentré au pays après son séjour italien, l’architecte s’est mis à travailler avec un franciscain de la Custodie, frère Michele Piccirillo, l’un des plus grands spécialistes de l’archéologie en Terre Sainte. “J’ai été l’assistant de frère Michele sur de nombreux projets de restauration, en Syrie, en Jordanie et en Palestine”, se souvient-il avec un respect manifeste pour cette grande figure de l’archéologie biblique, disparue en 2008.
Ce fut le début d’une longue et fructueuse collaboration avec la Custodie. Elle se poursuit aujourd’hui, notamment à Sébastia dont le projet de réhabilitation est en grande partie soutenu et financé par l’association ATS. Bien que musulman, Ossama a surtout travaillé à la réhabilitation de sites chrétiens, et pas des moindres : il a restauré les mosaïques de Gethsémani, de Capharnaüm, du Saint Sépulcre, de l’église de l’Annonciation à Nazareth… “J’ai beaucoup de chance que les responsables chrétiens, notamment franciscains, m’aient fait confiance en me laissant toucher de telles mosaïques”, reconnait-il humblement.
Mais le projet le plus marquant de sa carrière, c’est Jéricho. “En 1999, nous avons restauré le palais Hisham, se souvient Carla Benelli, dont c’était la première collaboration avec Ossama. Et nous avons mis en place, en parallèle, un atelier de formation destiné aux jeunes Palestiniens.” Raed, alors âgé de 24 ans, en faisait partie. “Avant ce projet, je ne connaissais rien à la mosaïque, se souvient cet employé du Centre de mosaïque de Jéricho. C’est Ossama qui m’a permis de devenir un expert dans ce domaine. C’est un professeur exigeant, il tenait à ce que l’on respecte les délais et à ce que l’on soit attentif aux détails.”
La transmission de son savoir-faire est une composante essentielle du travail de l’architecte. Aussi professeur à l’université Al-Quds de Jérusalem, Ossama Hamdan a créé plusieurs ateliers de formation (à Jéricho, donc, mais aussi à Sébastia et sans doute à Bethléem d’ici peu). “Construire un pays, cela prend du temps, soutient-il. Il ne suffit pas d’amasser de l’argent, il faut surtout pouvoir s’appuyer sur les talents de chacun.”
Ses projets vont souvent au-delà de la simple restauration de mosaïques. Dans le cas de Sébastia, par exemple, c’est tout un village qu’Ossama a entrepris de faire revivre alors que l’activité s’y mourait et que les visiteurs l’ignoraient. En ouvrant plusieurs chambres d’hôtes dans ce village au patrimoine ancestral et récemment valorisé, il a surtout voulu impliquer les villageois. La recette est simple : stimuler l’activité en sauvegardant les traditions.
Croire en l’homme
Refusant les succès de pacotille et les satisfactions de court-terme, le Palestinien préfère tout miser sur le travail de fond. “Il ne travaille pas pour la gloire, ni pour l’argent, assure Carla Benelli. Si le contenu d’un projet ne l’emballe pas, vous ne le convaincrez jamais d’y participer.” “Free-lancer dans l’âme”, Ossama n’appartient à aucune institution ni à aucun parti politique – “Je préfère croire en l’homme que dans les partis”, explique-t-il. Et au Centre de mosaïque de Jéricho, il n’est que volontaire… “Il change d’employeur à chaque projet, ce qui n’est pas toujours facile financièrement, poursuit Carla Benelli. Son indépendance est à la fois sa force et sa faiblesse.”
C’est vrai, l’architecte a souvent fait cavalier seul. “J’ai passé la moitié de ma vie à me battre, lâche-t-il dans un soupir. Contre Israël, mais aussi contre l’Autorité palestinienne ! Il faut dire qu’elle ne nous facilite jamais la tâche.” Selon lui plus soucieux de s’enrichir que de faire revivre le patrimoine local, municipalités et ministères palestiniens n’ont jamais soutenu ses initiatives.
Pas question pour autant d’y mettre un terme. A 56 ans, Ossama Hamdan déborde plus que jamais de projets. Outre Sébastia, il travaille actuellement sur le site de Béthanie, et œuvre aussi à la réhabilitation de celui du mont Nébo (la montagne d’où Moïse aurait contemplé la Terre promise avant de mourir, en Jordanie actuelle). Avec un objectif en tête : ne jamais perdre de vue les hommes. “L’archéologie, c’est important, concède le Palestinien. Mais l’essentiel, c’est l’humain.”
[encadré]
Le Centre de mosaïque de Jéricho
C’est la seule ONG palestinienne spécialisée dans la restauration de mosaïques anciennes. Elle a été fondée en 2003, dans la lancée d’un atelier de formation de jeunes Palestiniens à Jéricho. Au début, deux personnes y travaillaient ; elles sont vingt aujourd’hui. Ces passionnés ne se concentrent pas uniquement sur la restauration mais créent aussi des mosaïques originales, inspirées ou non de modèles anciens. Deux fois par an, le président palestinien Mahmoud Abbas achète ici des mosaïques pour la décoration de son bureau… “Nous vendons de la culture dans un pays où il est parfois difficile de vendre du pain !” se félicite Ossama Hamdan, le directeur. Plus largement, les projets du Centre ont pour but de promouvoir l’héritage culturel des Palestiniens, qui méconnaissent parfois leur propre patrimoine. Voir en ligne : www.mosaiccentre-jericho.com