Pour les Libanais, le mot « accueil » ne rime pas avec opportunité mais avec dignité. La dignité des réfugiés en provenance de Syrie réunis en grand nombre au Liban comme l'explique Mgr Mounir Khairallah, évêque maronite de l'éparchie de Batroun, un homme qui connaît son pays et les souffrances de l'Église d'Orient.
Pour les Libanais, le mot « accueil » ne rime pas avec opportunité mais avec dignité. Mgr Mounir Khairallah, évêque maronite de l’éparchie de Batroun (nord du Liban), a l’autorité d’un vrai pasteur et l’affirmation de celui qui connait l’Eglise d’Orient et ses souffrances. Mais ce qu’il connait par-dessus tout c’est le Liban et il le défend.
Souvent interrogé sur la situation à laquelle son pays est confronté en termes d’accueil et d’absorption des réfugiés syriens (une situation qui dure depuis plus de trois ans), Mgr Khairallah tient à souligner le sens de l’hospitalité orientale, sans trop cacher qu’il taxe d’« hypocrite » la politique européenne. « Si vous pensez au sens qu’a eu la présence syrienne au Liban durant la guerre civile et que vous le comparer avec la maturité des Libanais qui ont donné accueil à leurs anciens ennemis : il n’y pas le moindre doute, nous sommes faces à un grand pays doté d’une citoyenneté mature ».
Au Liban, les syriens (1 million 500 mille personnes prenant place aux côtés de 4 millions et 500 mille habitants libanais) se démarquent largement dans les données démographiques locales dont font aussi parti les 500.000 palestiniens qui vivent déjà dans des camps de réfugiés. Aurait-on pu faire moins que les accueillir ? « Ils fuient la guerre et cherchent un terrain sûr : serait-ce humain de leur nier tout cela ? C’est justement une question de dignité ».
Mgr Mounir note que cet effort n’est pas suffisamment reconnu par la communauté internationale. « Cet accueil est louable, mais représente un fardeau : il se reflète sur la viabilité du pays. Les syriens sont les bienvenus mais ne deviendront jamais des citoyens, des Libanais; ils travaillent ici sans permis de résidence et ne paient pas d’impôts. Leur main-d’œuvre bon marché sape le marché du travail et c’est également l’une des raisons qui pousse de nouveau de nombreux jeunes libanais à l’émigration. L’autre aspect réside dans le poids qui pèse sur les services : plus d’habitants signifie plus de besoin en électricité et en approvisionnement en eau courante et potable. Deux biens de première nécessité qui faut déjà défaut dans un Liban qui n’arrive pas à satisfaire les besoins de ses habitants et des camps de réfugiés Palestiniens ».
Le déséquilibre démographique s’accroit (en trois ans 250.000 enfants syriens sont nés contre 130.000 libanais) et il n’existe aucune loi qui définit clairement la présence syrienne sur le territoire, si ce n’est l’enregistrement des naissances auprès des municipalités sur requête de l’ambassade syrienne et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). En revanche, la communauté internationale ne se soucie en rien – et même le document émis par l’ONU sur une possible résolution du conflit en Syrie ne l’affronte pas – de la question du retour en Syrie des réfugiés actuellement présents au Liban.
Est-ce la raison pour laquelle le Liban reste « le cul-de-sac » de la politique du Mashreq, coincé entre le chantage de la Turquie et le conflit dramatique en Syrie ? Probablement. « Sans doute aussi que notre modèle de société, basé sur la coexistence et le partage, obtenu après 15 années de guerre civile dévastatrice (1975-1990), n’est plus très à la mode, dans un scénario international qui vise à encourager le choc des civilisations », constate le prélat. De ce point de vue, le modèle social du Liban, une mosaïque de religions, d’ethnies et de cultures moyen-orientales, reste valable, en dépit de ses défauts et ses difficultés. « Vivre ensemble est toujours possible, dit François, malgré les conflits qui nous faut désespérer de voir aboutir une solution. La richesse du Liban ce sont les chrétiens qui devraient être préservés et soutenus. Ils sont désormais un petit pourcentage de la population, mais qualitativement suffisant, dans sa variété, pour faire du Liban, après ce qui est arrivé en Irak et en Syrie, le dernier bastion de la complexité et de la richesse du Moyen-Orient dans un pays fort de son identité nationale ». Un Liban sans les chrétiens, dit Mgr. Mounir Khairallah, « ce serait une trahison pour l’ensemble de l’histoire du Moyen-Orient ».