Les difficultés d'une vie en marge de tout, les cauchemars récurrents ou encore la peur du lendemain. Courte immersion dans l'un des camps de réfugiés dressés au Kurdistan irakien et qui fournit un abri temporaire à celles et ceux qui ont dû fuir l'avancée de l'État Islamique. Mais aussi les effets des nombreuses divisions et hostilités de l'Irak d'aujourd'hui.
Pour entrer dans le village irakien de Omar, la jeep quitte la route principale et s’aventure au milieu de la boue. Nous sommes à vingt minutes au sud de Kirkouk, dans une grande plaine, le feu des raffineries en arrière-plan. Le village est petit : des maisons en préfabriqués, une mosquée et quelques tentes marquées du sceau de l’UNICEF.
Les résidents appartiennent à la tribu Shamar, ils sont arabes de confession sunnite. Les habitants du village voisin, Saad, appartiennent au même groupe ethnique, c’est pourquoi, il y un an et demi en fuite face à l’avancée de l’État Islamique, ces populations se sont réfugiées ici. La communauté est très pauvre et survit en vendant du lait et des fromage produits grâce aux quelques chèvres disponibles. Dans une telle situation, l’arrivée de plusieurs centaines de personnes déplacées n’a fait qu’empirer la situation. Ici il n’y pas d’Etat, pas plus que les organisations internationales : « Parfois, tous les quatre ou cinq mois, ils nous envoient de l’extérieur de la nourriture », raconte une femme d’une trentaine d’années, Mona, tout en embrassant la dernière de ses cinq enfants.
La région de Kirkouk, au centre de l’Irak, est une zone frontalière entre le Kurdistan irakien et le territoire de Bagdad; elle abrite aujourd’hui 400.000 personnes déplacées mais la capacité à les assister est plus que réduite. L’Organisation des Nations Unies rencontre même des difficultés à les compter et les enregistrer, et la poursuite des affrontements pour le contrôle de la ville – l’une des plus riches en pétrole – entre peshmergas kurdes et milices chiites irakiennes rend presque impossible le travail des ONG.
Dans une tente au centre du village, nous rencontrons certaines femmes, toutes déplacées de Saad, de Tikrit ou encore Mossoul. Elles partagent les difficultés d’une vie en marge de tout, les cauchemars récurrents ou encore la peur du lendemain : « Je ne peux pas dormir – dit Ayeh -. Je vois continuellement des têtes coupées et la face de mon fils, tué par Daesh ». Une histoire commune à tant d’autres : « Je suis toujours nerveuse, tout me fait sursauter. J’ai toujours devant mes yeux les visages des gens que je connaissais, tué par les bombes », ajoute une vieille femme de nous saluer et de s’en aller.
La préoccupation pour l’avenir est omniprésente parce que nombreux sont conscients que le conflit ne prendra pas fin avec la défaite de l’État Islamique : la guerre menée par les Etats-Unis en 2003, la chute de Saddam et les années de terrorisme national ont brisé une société riche par ses nombreuses ethnies et confessions religieuses que le Raïs (le « chef » en arabe) avait maintenu ensemble au travers d’un système sophistiqué de pouvoir clientéliste appuyé par les tribus. Aujourd’hui, ce système s’est effondré et le sectarisme est en train de détruire, de l’intérieur, l’Irak tout entier.
Ne serait ce que dans l’accueil des réfugiés, entre ceux ayant trouvé refuge au centre du pays et ceux qui sont arrivés dans le Kurdistan irakien, la différence est palpable. Le gouvernement irakien ne fait plus entrer de nouveaux déplacés dans Bagdad, il les enferme dans des zones tampons en bordure de la ligne de front. « Ils sont inaccessibles aux ONG – raconte un travailleur humanitaire sous l’anonymat -. Les rares qui parviennent à s’y rendre, après d’interminables négociations avec chaque acteur du conflit, réussissent à faire peu, nous parlons de centaines de milliers de personnes ».
La division se fait sentir au niveau de l’appartenance ethnique : l’entrée des sunnites dans les zones chiites est plus difficile, parce que la peur de Bagdad c’est qu’avec eux pénètrent des miliciens potentiels de l’Etat Islamique. Le même scenario se déroule dans le nord au Kurdistan irakien, qui, depuis un an et demi a ouvert ses portes à deux millions de personnes déplacées et réfugiés syriens. Pour les refermer ensuite : l’énorme afflux de population, plus de 25 % de la population locale, est à l’origine de graves tensions internes avec les résidents. On ne fait plus rentrer que ceux qui peuvent offrir des garanties, encore une fois sur des critères ethniques.
« Pour pouvoir se déplacer librement, pour trouver un emploi stable, pour accéder à certains services, vous devez posséder l’iqama, le permis de séjour délivré par les autorités kurdes – explique Mohammed, un jeune Palestinien né à Bagdad et qui vit maintenant dans le camp de réfugiés de Baharka, Erbil -. Pour ce faire, vous devez avoir un parrain kurde qui se porte garant et subir de longs interrogatoires par la police politique kurde et des tests sanguins. Ils ne me l’ont pas donné car je suis sunnite. Pour les yézidis, les kurdes et les chrétiens c’est beaucoup plus facile, ils trouvent plus facilement un garant ».