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Père Jihad, moine de Mar Moussa: « Rester en Syrie, une preuve de foi »

Carlo Giorgi
28 octobre 2015
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"Y a t-il un avenir pour la présence chrétienne en Syrie ? Si les choses demeurent ainsi, si la communauté internationale décide de ne pas changer sa politique ou de renoncer à la logique du profit et de l'intérêt, je prédis que rapidement il n'y aura plus qu'une présence chrétienne symbolique dans le pays. Un peu à l'image des chrétiens de Terre Sainte, qui sont maintenant un petit pourcentage de la population"Les mots du Père Jihad Youssef, moine de la communauté de Mar Moussa en Syrie, résonnent amèrement depuis Rome où il se trouvait le 24 octobre dernier.


« Y a t-il un avenir pour la présence chrétienne en Syrie ? Si les choses demeurent ainsi, si la communauté internationale décide de ne pas changer la politique ou de renoncer à la logique du profit et de l’intérêt, je prédis que rapidement il n’y aura plus qu’une présence chrétienne symbolique dans le pays. Un peu à l’image des chrétiens en Terre Sainte, qui sont maintenant un petit pourcentage, peut-être 1% de la population. Et vous pourrez aller en Syrie comme au zoo, pour admirer une espèce en voie de disparition« .

Les mots du Père Jihad Youssef, moine de la communauté de Mar Moussa en Syrie, qui a participé samedi 24 octobre à Rome à la Journée des Associations pour la Terre Sainte résonnent encore. Face à un public très attentif, le dignitaire religieux a raconté la vie de sa communauté plongée dans la guerre, partageant ses impressions, craintes et espoirs pour l’avenir des chrétiens Arabes.

« En décembre 2013, la région dans laquelle se trouve notre monastère, près de la ville de Nebeq, s’est enflammée par une bataille féroce – explique le père Jihad -. Ce fut un moment de grande crainte. Nous avons célébré la messe et prié, en pensant qu’à tout moment un missile pouvait nous tomber sur la tête. Constamment nous pensions : quel sens cela a t’il de rester ici ? Voilà comment, en communauté, nous avons vécu concrètement cette épreuve de la foi. Nous avons pu mesurer combien notre foi peut vraiment nous aider; plus encore si nous avions la foi. Croyons-nous vraiment en Dieu ? Dieu existe-t-il ? Et s’il  existe, que fait-il  alors que nous sommes sous les bombes ? Alors que des enfants, des hommes et des femmes quittent leurs maisons … Alors que les frères, Caïn et Abel, s’entretuent ? Dieu somnole t’il alors que Caïn tue Abel ? Il y avait comme une voix qui murmurait à nos oreilles: « Vous êtes chrétiens … et où serait votre Dieu ? ». Alors croyons nous toujours ? Oui, nous croyons encore. Mais chaque matin, chaque lever de soleil, nous devons recommencer et décider de croire. Et nous avons décidé de rester, malgré le danger. Nous ne sommes pas rester pour devenir des martyrs à tout prix; nous sommes restés en solidarité avec tout le monde. Après ce choix, nous avons vu dans les yeux de nos paroissiens à Nebeq, mais aussi de nombreux musulmans de la ville, de la gratitude. Notre présence est pour eux un signe d’espoir. Que ce soit les chrétiens ou les musulmans de Nebeq, lorsqu’ils parlent de nous ils disent : «Nos moines et notre monastère. »

Nebeq, ville de 50.000 habitants, compte une communauté chrétienne de 3-400 personnes. La communauté de Mar Moussa, pour répondre aux besoins des plus désespérés et avec l’aide de trois organisations catholiques européennes, a restauré 63 maisons de familles chrétiennes et musulmanes. Les besoins sont nombreux : Nebeq est situé à 1300 mètres au dessus du niveau de la mer et l’hiver est froid, chaque nuit l’eau gèle. Il y aurait besoin de diesel pour chauffer les maisons, mais le carburant, en raison de la guerre, coûte très cher, c’est une denrée rare. Aucun des chrétiens de Nebeq, malgré la guerre, n’a délaissé la ville au cours des dernières années.

« Rester ou partir ? Que doivent faire les chrétiens de Syrie ? – se demande le père Jihad -. Avant on était d’avis que nous, chrétiens, devions rester parce que le Moyen-Orient ne doit pas être vidé de ses chrétiens. Mais quand j’ai crains pour ma vie et pour celle de la communauté, j’ai compris ceux qui quittent leurs maisons et où ils puisent la force de tout quitter: leur mémoire, les souvenirs, les enfants, les proches enterrés ou vivants. Je ne juge personne et je ne dis à personne de rester s’il ne veut pas rester. Bien au contraire, il faut aider celles et ceux qui désirent quitter pour qu’ils puissent le faire avec dignité: ne pas prendre la route de la mer, ne pas marcher, risqué d’être arrêté à la frontière par des barbelés ou par des balles. Et puis nous devons aider ceux qui veulent rester à rester, d’abord à travers la prière, sans aucun doute. Puis, avec de l’aide matérielle« .

« Ceux qui restent ont pourtant une vocation. Quelle est cette vocation ? – a poursuivi le père Jihad -. Vous savez que saint François est allé à la rencontre du sultan el Khamil. Et quand il est revenu, il a dit aux frères : « Voilà, allez chez les Sarrasins, soyez soumis à toute créature professant humblement être chrétiens ». Il ne leur a pas dit de faire du prosélytisme, mais de  parler quand le Saint-Esprit le leur suggèrera. Nous, à Mar Moussa, sommes consacrés à l’amour de Jésus-Christ pour tous, mais d’une façon plus particulière envers les musulmans et l’Islam. Le dialogue ne signifie pas pour nous de gagner un certain nombre de conversions ou de les convaincre qu’ils ont tort et que nous avons raison. Au contraire le dialogue c’est créer des ponts, de l’amitié et de l’harmonie. Annoncer à tout le monde que vivre en étant différent est possible mais aussi agréable. La Lettre aux Hébreux nous dit que Jésus a appris l’obéissance de ce qu’il a subi. Ainsi, par notre souffrance vécue dans ces années de guerre, nous nous sommes vraiment ouverts à la grâce de Dieu que nous avons reçue dans le baptême, nous pouvons choisir de rester en Syrie et découvrir notre vocation: aimer et prier pour le monde musulman, pour les musulmans qui se détruisent entre eux, qui se détestent les uns les autres. Peu le savent, mais en Syrie les victimes de l’Etat islamique (Daesh) sont plus nombreuses chez les musulmans que chez les chrétiens. Bien sûr, si un chrétien tombe dans les mains de Daesh s’en est fini de lui. Mais s’en est aussi fini pour un cheikh ou imam qui ne pense pas comme eux. »

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