Depuis des semaines, la tension ne cesse de monter à Jérusalem et dans les territoires palestiniens. Une série d'attaques palestiniennes en réaction à ce que les Palestiniens estiment être des provocations sur l'esplanade des mosquées a entrainé une répression militaire et les deux camps comptent et pleurent leurs morts. Cette escalade sonne-t-elle le début d'une troisième intifada, un soulèvement populaire palestinien ? Quelques éléments de discernement.
(Jérusalem) – Ces dernières semaines, la tension à Jérusalem et dans les territoires Palestiniens suit une courbe croissante. La situation se cristallise autour de l’esplanade des Mosquées tout en se propageant dans les rues de Jérusalem et dans l’ensemble de la Cisjordanie. Depuis dimanche matin 4 octobre, les autorités israéliennes ont interdit, pour 48 heures, l’accès à la Vieille ville de Jérusalem à tout palestinien n’en étant pas résident.
Aucun des événements de ces derniers mois n’est en réalité un cas isolé: l’incendie criminel qui a tué trois Palestiniens membres de la famille Dawabsheh dans le village de Douma, en Cisjordanie; les jets de pierre sur un véhicule qui a causé la mort d’Alexander Levlovich, de Talpiot Mizrach une colonie du sud-est de Jérusalem; la mort à Hébron de Hadeel al-Hashlamoun, abattue par l’armée alors qu’elle aurait sorti un couteau menaçant les soldats; la mort d’Eitam et Naama Henkin, deux religieux-sionistes (un courant politique religieux qui prône la colonisation) abattus non loin d’Itamar, une colonie à l’est de Naplouse; ou l’attaque au poignard, samedi soir, tuant Aaron Banita, un jeune ultra-orthodoxe incorporé dans l’armée et rav Nehemia Lavi, de la Yeshivat Ateret Cohanim, organisation dont le but est d’acheter des propriétés arabes à Jérusalem pour « rejudaïser la ville ». Tous ces événements impliquent des colons ou la colonisation.
Depuis samedi soir, au moins 150 Palestiniens ont été blessés par des balles réelles ou des balles en acier recouvert de caoutchouc, a affirmé le Croissant-Rouge palestinien. Ces affrontements ont eu lieu avec les colons et l’armée israélienne dans les villes de Cisjordanie et les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est. Nombreux sont les témoignages depuis dimanche faisant état de barrages organisés par les colons dans les territoires palestiniens dans une volonté déclarée de vouloir venger leurs morts.
Depuis début septembre, de nombreuses mesures ont été prises par le gouvernement israélien pour contrer la montée de violence. Le 9 septembre l’État hébreu a interdit les Mourabitat, les sentinelles des esplanades des Mosquées (sur ce sujet voir notre article : Mourabitoun: gardiens ou mercenaires ?); le 20 septembre le cabinet de sécurité israélien approuvait une série de mesures contre les lanceurs de pierres, y compris celle de faire intervenir des snipers à Jérusalem pour les « neutraliser » (sur ce sujet voir notre article : Les lanceurs de pierres dans les viseurs). À son retour de l’Assemblée générale des Nations Unies, le premier ministre Netanyahou a convoqué son conseil de sécurité. Dorénavant, les destructions des maisons des « terroristes » seront accélérées, une mesure estimée inutile par les organisations de défense des droits de l’homme et qui s’avère produire des résultats opposés. De même, les détentions administratives illimitées et sans inculpation seront elles aussi multipliées.
Du côté palestinien, ces mesures génèrent toujours davantage de haine. Par ailleurs, le discours de Mahmoud Abbas devant les Nations Unies n’a proposé aucune solution ni pour régler le conflit interne palestinien (Hamas-Fatah), ni pour avancer sur la scène régionale ou internationale. Les analystes ont vu au contraire dans le discours l’aveu que l’Autorité palestinienne n’est plus en mesure de maintenir le contrôle des Territoires, de plus en plus émiettés. Si les territoires devaient sombrer dans le chaos la situation deviendrait incontrôlable pour l’Autorité palestinienne comme pour Israël.
Le rythme des affrontements de ces dernières heures apporte un nouvel éclairage sur un récent sondage. Interrogés il y a quelques semaines, 42% des Palestiniens estimaient que le moyen le plus efficace d’atteindre la solution de deux États était la lutte armée, contre 36% dans un sondage précédent. « Il est clair que nous sommes sur une corde raide et devant de nouvelles évolutions de la situation politique sur le terrain », a déclaré Khalil Shikaki, directeur du Centre palestinien pour la politique et la recherche, basé à Ramallah. « Au début des années 2000, les sondages ont montré qu’il n’y avait que peu de soutien pour la violence. Les tendances se sont inversées. Maintenant [en 2015], nous notons à nouveau une hausse. Il lui faut seulement une étincelle, la situation est propice à une explosion majeure. »
La violence actuelle est-elle considérée comme un soulèvement, une « Intifada », par les Palestiniens et Israéliens ?
«Intifada» est devenu un terme générique, un concept relativement éloigné de son sens premier. Le soulèvement palestinien, Intifada, est initialement une lutte à la fois personnelle et collective de la nation Palestinienne pour l’indépendance. Un soulèvement qui se projette dans l’avenir, qui puise sa force dans l’identité palestinienne et sa solidarité sociale, qui vise en premier lieu à un changement radical. Bien que la violence actuelle soit encore loin des deux soulèvements de 1987 et 2000, le caractère chaotique de la situation présente ne suffit pas pour appeler la situation actuelle un soulèvement (intifada) car le but n’est pas de changer les règles mais l’expression d’un « ras-le-bol » généralisé.
Un des facteurs de l’insurrection présente ou future, pourrait résider dans l’augmentation de l’extrémisme juif de type « prix à payer », comme cet été l’incendiace criminel à Douma de la maison de la famille Dawabsheh, resté impuni. Les attaques contre les sites religieux chrétiens et musulmans, mais aussi les attaques quotidiennes sur des civils Palestiniens en Cisjordanie, informations peu ou pas relayées par les médias israéliens exacerbent les passions. La fin de l’Autorité palestinienne, son semblant de contrôle sur la Cisjordanie, et la fin de la coordination sécuritaire, libératrice pour certains et destructrice pour d’autres, sont également des facteurs d’instabilité. Malgré les accusations mutuelles qu’ils se sont lancées lors de leurs discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, Netanyahou ne souhaite pas voir le Président palestinien partir et Abbas de son côté n’est pas disposé à abandonner le pouvoir.
La Mosquée Al-Aqsa fut le théâtre du déclenchement de la seconde Intifada, lorsque l’ex-Premier ministre israélien Ariel Sharon visita l’esplanade en 2000. Elle représente plus que jamais un symbole intouchable pour l’ensemble des Palestiniens. C’est encore plus sensible pour la jeunesse palestinienne qui utilise les réseaux sociaux pour relayer les informations la concernant. Mohannad Halabi, le jeune Palestinien qui a commis l’attentat samedi soir en Vieille ville, avait comme tant d’autres abondamment commenté ce qui du point de vue des musulmans sont des « menaces sur Al Aqsa ». Comme beaucoup d’autres jeunes Palestiniens, il appelait sur les réseaux sociaux à réagir, concluant son dernier message par: « Visiblement, le troisième soulèvement a débuté. »
Nombreux sont ceux qui estiment qu’Israéliens et Palestiniens vivent les prémices d’un troisième soulèvement, pour d’autres cependant ce n’est qu’une vague de violence passagère. Il n’y a aucun moyen de le savoir. La question qui se pose à la lumière de la situation politique actuelle est : pour modifier le statu quo du conflit israélo-palestinien un troisième soulèvement est-il indispensable ?