« Partout la peur, la terreur et la destruction »: témoignage d’un curé de paroisse d’Alep
"Ce fut un massacre, une catastrophe, un acte délibérément meurtrier: ils ont bombardé avec des missiles puissants des bâtiments où se trouvaient des enfants, des familles, des gens endormis." Frère Ibrahim Sabbagh, curé de la paroisse latine d'Alep en Syrie, décrit les bombardements survenus dans la nuit de vendredi à samedi derniers, comme quelque chose d'inoui.
« Ce fut un massacre, une catastrophe, un acte délibérément meurtrier: ils ont bombardé avec des missiles puissants des bâtiments où se trouvaient des enfants, des familles, des gens qui dormaient. » Frère Ibrahim Sabbagh, curé de la paroisse latine d’Alep en Syrie, s’est habitué malgré lui aux bombardements. Mais il décrit le dernier dont il a été témoin, dans la nuit de vendredi à samedi derniers, comme quelque chose d’inouï. Pour la première fois, en effet, l’artillerie des rebelles hostiles au président Bachar Al Assad aurait bombardé le quartier de Suleimaniyeh avec des missiles de type Grad, d’une puissance de destruction encore jamais vue. Ce quartier est caractérisé par une forte présence chrétienne, y sont entre autres situées les cathédrales gréco-catholique, arménienne et maronite. Parmi la dizaine de victimes enregistrées se trouve Safouh Al-Mosleh, membre important de Caritas Syrie.
« Après le bombardement, tôt le matin, je suis allé dans le quartier dévasté», raconte frère Ibrahim. « Je suis entré dans les maisons, j’ai prié avec ceux qui priaient…Tout n’était que peur, terreur et destruction. J’étais dans une maison où deux parents priaient et commençant à prier avec eux je me suis rendu compte qu’ils attendaient de connaître le sort de leurs deux enfants, noyés dans les décombres, à l’étage…« .
En plus des décès et des blessures, le bombardement de samedi a engendré de lourdes répercussions psychologiques sur les civils: face à l’inattendue puissance du feu, de nombreux citoyens d’Alep ont pensé que la défaite des forces gouvernementales était proche et l’arrivée des forces de Daesh imminente comme dans de nombreuses autres villes de Syrie et Irak. Nombreux sont ceux qui considèrent que l’épicentre du conflit s’est déplacé vers Alep et que c’est là-bas que se joue la bataille décisive pour le contrôle de toute la Syrie. Depuis 2012 la ville est divisée en deux, l’Ouest sous le controle du régime et l’Est partagé entre les rebelles et maintenant des groupes affiliés à Daesh. Cela a provoqué la ruée de la plupart des familles qui étaient jusqu’alors restées : au moins 700 ont quitté le quartier de Suleimaniyeh, elles se sont réfugiées dans les villes côtières de Lattaquié et Tartous ou encore chez des amis, dans les districts voisins d’Alep.
« Pour notre part, nous avons eu des dommages dans l’un des local de la paroisse – dit Ibrahim – et nous travaillons afin de réparer ces dégâts et pouvoir revenir célébrer la messe, donner un signe d’espoir à ces chrétiens. A ceux qui se demandent si notre couvent a été frappé ou endommagé, nous répondons que c’est la dernière chose à laquelle nous pensons! Nous pensons à la vie des gens; l’important ce sont nos familles! Nous portons la conviction que, dans certains moments de l’histoire, l’Église peut vivre sans bâtiments en pierre, car la chose importante c’est une Eglise composée d’hommes, vivants par la résurrection de Jésus. Cela suffit à nous rendre vivants« .
La Custodie de Terre Sainte est présente à Alep et compte quatre frères franciscains qui dirigent une paroisse dans le district de Azizieh (adjacent au quartier bombardé de Suleimaniyeh) et un collège (dans le quartier de la Tour, à l’entrée de la ville). Compte tenu de la situation actuelle tragique et de la pression continue, les frères ont décidé de transformer le Collège de Terre Sainte – aujourd’hui dans un calme encore relatif – en un lieu d’accueil permanent pour les familles réfugiées.
« Nous avons déjà commencé l’accueil dans notre Collège de Terre Sainte – partage frère Ibrahim -: un hospice géré par Saint-Vincent de Paul nous a demandé de prendre soin de ses patients qui ne savent pas où aller; dimanche ils ont fui leur quartier et nous les avons reçus : vingt anciens et dix infirmières. Ensuite, nous offrons l’hospitalité au clergé: pour le moment nous hébergeons un évêque melkite avec son prêtre, ayant fui leur région; nous sommes prêts à offrir l’hospitalité à tous les prêtres qui auraient besoin« .
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Frère Ibrahim Sabbagh, 44 ans, est Syrien. Originaire de Damas, il étudiait en Italie jusqu’à l’année dernière. Il a alors offert de retourner chez les siens pour travailler avec ses frères et offrir le soutien spirituel et matériel aux fidèles dans le besoin. Il a quitté Rome pour la Syrie en novembre dernier. Avant de partir il avait expliqué son choix dans cette courte vidéo postée sur YouTube (en italien).
La Custodie de Terre Sainte relaie ces jours l’appel pressant des dirigeants des communautés chrétiennes d’Alep désormais à bout de souffle.