« Aujourd'hui, en Syrie, nous sommes tous devenus pauvres. Mais dans cette situation de pauvreté, la composante chrétienne est celle qui se défend le mieux », a déclaré Mgr. Antoine Audo, évêque chaldéen d'Alep et président de Caritas Syrie. Cet évêque nous partage des exemples concrets et des témoignages plein de dignité, signes d’un peuple qui ne se résigne pas à la barbarie.
«Aujourd’hui, en Syrie, nous sommes tous devenus pauvres. Mais dans cette situation de pauvreté, la composante chrétienne est celle qui s’en tire le mieux », a déclaré Mgr Antoine Audo, jésuite et évêque de l’église catholique chaldéenne d’Alep qui préside l’Ong Caritas Syrie. « Les chrétiens peuvent en effet compter sur de grandes familles, sur l’Eglise, une solide éducation et enfin sur des proches et amis qui résident à l’étranger et qui peuvent les aider à émigrer. Au contraire pour les musulmans la situation est plus difficile…».
Nous rencontrons Mgr Audo à Rome, en marge de la rencontre, à porte close, organisée par Caritas International du 15 au 17 septembre. Dédiée aux urgences du Moyen-Orient, soixante-dix délégués de Caritas venus du monde entier s’étaient réunis pour écouter l’appel à l’aide des Caritas du Moyen-Orient et mieux cerner et répondre à leurs besoins.
Il suffit de quelques chiffres pour esquisser un portrait-robot de la triste situation syrienne: certaines sources, dont les Nations Unies, estiment à plus de 190.000 le nombre de victimes entre le début du conflit en mars 2011 et avril dernier ; selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la moitié de la population syrienne s’est enfuit laissant derrière elle tout ce qu’elle avait. Sur les 18 millions de personnes déplacées : 3 millions de personnes ont fui à l’étranger en particulier au Liban, en Jordanie et en Turquie; 4 millions et 250.000 personnes ont cherché refuge dans d’autres villes et surtout les zones rurales du pays; pour au moins 6 millions 500 milles d’entre elles, la vie serait impossible sans assistance humanitaire quotidienne. Le pays est divisé en régions contrôlées soit par l’armée régulière soit soumises à d’autres opposants au régime de Bachar al-Assad au sein desquels ne cesse de croitre la prédominance de l’Etat Islamique fondamentaliste. Les combats du quotidien sont nombreux, même les files d’attente pour être approvisionné en eau et en alimentation de base sont devenues dangereuses.
« Malgré la situation, Caritas Syrie est active dans tout le pays – exprimait Mgr Audo -. Dans toutes les régions, nous avons des centres avec des groupes formés pour mettre en œuvre et suivre les programmes d’aide. Aujourd’hui, l’aide que nous apportons est fondamentale principalement au niveau alimentaire parce que tous les Syriens se sont appauvris et ont avant tout besoin de manger. Ensuite, il y a l’assistance médicale, en particulier pour les opérations chirurgicales, les couts sont exorbitants. Troisième point: nous agissons afin que soit maintenu la scolarisation des enfants et des jeunes. Quatrième population ciblée : les personnes âgées.
Se déplacer dans les régions où l’Etat islamique est implanté est dorénavant trop dangereux. Même à Alep par exemple, dans la banlieue, il y a des zones entières dans les mains des fondamentalistes. « Il y a quelque temps, lors d’une fête musulmane, ensemble avec des amis musulmans nous avons créé un programme permettant d’envoyer deux mille vêtements pour des enfants nécessiteux. J’ai dit à ces musulmans: ‘Je voudrais venir vous rendre visite, de votre côté, pour apporter mon message et mon soutien personnel’. Ils ont répondu: ‘Ne venez pas! C’est trop dangereux, vous pouvez être kidnappé ou tué’ ».
Une telle pauvreté, si répandue, n’est-elle pas en train de transformer profondément la société syrienne, d’accentuer la marginalisation d’une partie de la population ?
Dans une grande majorité de la Syrie, il y a un problème réel de pauvreté qui peut conduire à une transformation de la vision globale de la société. Par exemple, nous voyons de plus en plus de la prostitution, jusqu’aux travestis ! Jamais nous n’avions vu cela auparavant au grand jour. Jamais! Personne ne se doutait même de l’existence de ce phénomène. Maintenant que ce soit dans la ville, dans les jardins, sur les places, et puis à l’université sur le campus : la prostitution est partout…C’est un phénomène lié à l’appauvrissement et qui a été généré par le conflit.
Dans cette situation, êtes-vous témoins de la solidarité et amitié entre chrétiens et musulmans?
Une véritable innovation sociétale réside pour moi dans le fait de voir les femmes chrétiennes et musulmanes se réunir pour demander de l’aide dans nos centres Caritas, avec dignité et respect. Une fois je me suis retrouvé à Alep en face de notre centre de distribution d’aide alimentaire pour personnes âgées, fréquenté principalement par des musulmans. Je portais mon habit religieux et face à un évêque, une musulmane âgée a pris les devants et a commencé à crier: ‘Maintenant nous savons et voyons qui sont les chrétiens: ils valent de l’or, ils sont précieux’. Elle hurlait et je ne savais quoi faire, je me suis fait tout petit parce que j’étais gêné. J’ai dû balbutier quelque chose comme, ‘Ce n’est pas moi, c’est la Caritas.’ C’est une image que je ne peux oublier. Comme je vous le racontais auparavant, nous avons fait don de vêtements à deux mille enfants musulmans à l’occasion d’une fête religieuse. Le lendemain, plus de 50 personnes – des familles, des enfants et des parents – tous ensemble et en signe de gratitude sont venus me voir à mon domicile, en bus et vêtus des vêtements ! Nous avons pris un rafraîchissement tous ensemble et même des photographies… C’était une très belle émotion! Et c’est moi pour l’image de la Syrie: les musulmans sont sunnites et savent ce que cela veut dire, ils sont dignes, ils ont un savoir vivre et ne manquent pas d’éducation. Ils sont très différents de ceux qui utilisent la religion pour détruire!
Pour faire un don à Caritas Syrie : site officiel de Caritas