Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Un regard « racheté » sur les nouveaux horizons du Moyen-Orient

Terrasanta.net
26 août 2014
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Le Custode de Terre Sainte, le frère Pizzaballa, a été invité dans l’après-midi du 24 août pour ouvrir la série de rencontres et de débats de l’édition 2014 du Meeting de Rimini, apportant une réflexion sur le Moyen-Orient d'aujourd'hui et sa présence chrétienne. Une histoire à lire le regard fixé sur la croix du Christ, d’après le Custode, sans se laisser écraser par la peur.


(g.s.) – Le Custode de Terre Sainte, le frère Pizzaballa, a été invité dans l’après-midi du 24 août pour ouvrir la série de rencontres et de débats de l’édition 2014 du Meeting de Rimini (qui s’achèvera le 30 août) avec une réflexion autour du thème : La puissance du coeur. Chercheurs de la vérité.

Le sujet de fond ne pouvait bien évidemment pas se résumer à la situation actuelle du Moyen-Orient et sa composante chrétienne prisonnière aussi dramatique d’un scénario. « Je pense que ce serait commettre une erreur – observe le frère Pizzaballa – que de se limiter à une professionnelle analyse politique, sociale et historique de ce qui est en train de se passer (aussi longtemps que l’on puisse le faire !), sans un regard religieux, repenti, qui permet de lire et d’interpréter ces événements sans se laisser emporter ». 

D’après le religieux franciscain, «La stabilité qui pendant une quarantaine d’années a caractérisé les relations (ou l’absence de relation) entre ces différents pays a définitivement pris fin, et de nouveaux équilibres que nous ne parvenons pas encore à définir commencent à se profiler, constituant une source de préoccupation importante, surtout pour la petite communauté chrétienne et pour les autres minorités. (…) Une nouvelle ère s’est ouverte, et nous ne sommes pas encore en mesure d’en percevoir les directions ».

Le présent et l’avenir, cependant, doivent être encadrées dans une perspective historique: « Beaucoup plus qu’en Europe, le Moyen-Orient a toujours été un creuset des différences religieuses. (…) Il faut reconnaître que la cohabitation n’a jamais été facile et que les persécutions ont bel et bien eu lieu à travers les siècles. Mais jamais il n’y a eu de « nettoyage religieux » semblable à celui que nous vivons aujourd’hui. Le Moyen-Orient, lieu de cohabitation ? Oui, sans aucun doute, et plus que dans n’importe quelle autre partie du monde ».

Le Custode a fait remarquer que le  « nettoyage religieux entrepris par le soi-disant état islamique, qui existe aussi dans une moindre mesure dans d’autres régions du monde arabe, s’oppose d’abord et avant tout à l’histoire et au caractère-même du Moyen-Orient, et l’on ne peut pas garder silence. Il est nécessaire que toutes les communautés religieuses élèvent leurs voix contre cette abomination. Le monde islamique a finalement commencé à réagir, mais honnêtement, nous devons admettre que la dénonciation nous paraît bien timide ».

Au contraire, la contestation doit être ferme et sans compromis, prévient le Custode de Terre Sainte, « Le dialogue interreligieux, aujourd’hui, ne peut se passer d’une dénonciation commune et forte de ce qui est en train de se passer. La gravité du moment et la nécessité de continuer à vivre et à dialoguer ensemble l’exigent. De plus, il est évident que ce genre de fanatisme doit être stoppé, et si besoin, même par la force, avec toutes les garanties nécessaires. Néanmoins, sans une perspective de reconstruction sur tous les plans, l’usage de la force ne résoudra rien. (…) Ceci vaut également pour le conflit israélo-palestinien, duquel nous aimerions vous parler, aussi peu que possible, parce que, honnêtement, nous ne savons plus quoi dire d’autre à ce sujet. La force, sans perspective de (re)construction sociale, économique, politique, ne conduira à aucune autre solution que celle du retour de l’utilisation d’autres forces, dans une sorte de cercle vicieux. Comment pouvoir parler de paix ou de perspective de paix, si le cœur n’a accumulé principalement que de la haine, du ressentiment, de la douleur, le goût de la vengeance à cause de la violence, si nous ne construisons pas d’espoir? ».

À ce stade de sa réflexion, le frère Pizzaballa joue le rôle d’un témoin oculaire, et énumère toute une série de gestes quotidiens de solidarité entre musulmans et chrétiens, auxquels il a pu assister lors de sa visite, en juillet dernier, auprès des Frères Mineurs qui vivent en Syrie, plus particulièrement dans la ville d’Alep et dans les villages de la vallée de l’Oronte.

« Le Moyen-Orient est en feu – a annoté les Custode -. Les anciennes formes de cohabitation semblent mortes, les nouvelles formes ne sont pas suffisamment claires. Je ne sais pas à quoi ressemblera le Moyen-Orient dans cinq ans et je mets au défi quiconque de pouvoir émettre toute hypothèse. Nous assistons à des phénomènes contradictoires et indéchiffrables. Trahison de vieilles amitiés, formation de nouvelles. Rejet de l’autre, recherche de l’autre. Mais à côté du cœur qui a trahi, il y a le cœur de ceux qui ont aimé, en se dépensant, en se donnant. Ces gestes de tant d’anonymes, présents partout, sont la force secrète et nécessaire pour aller de l’avant et ne pas s’arrêter dans l’obscurité du moment, la puissance de Satan. Le voisin, à côté de vous, qui face à tant de mort vous montre encore un geste d’amitié, et vous donne le souffle nécessaire pour pouvoir continuer à rester ici et vivre ensemble, divers et unis ».

Face aux nombreuses expressions d’amour et de désespoir de tant de gens, devant la destruction qui progresse, Pierbattista Pizzaballa appelle tous les chrétiens à maintenir en vie le regard de la foi : «Il n’est pas rare d’entendre parmi les nôtres, et peut-être même parmi nos religieux, des paroles de découragement et de résignation. (…) Tout cela – c’est mon opinion – n’a rien à voir avec la foi chrétienne. Nous oublions l’essentiel : le christianisme est né de la croix et ne peut pas en faire abstraction. Jésus devient le roi du monde sur la croix, pas après le succès de la multiplication des pains. Le christianisme, effectivement, provient d’une faille humaine, d’une défaite. Et d’un cœur transpercé. Nous parlons de la puissance du cœur, et c’est lui que nous devons regarder, ce cœur, parce qu’il est la mesure de l’amour de Dieu, et par conséquent du nôtre. Nos actes de chrétiens doivent être mesurés par le coeur. Nous oublions souvent ce fait, et nous tombons dans la tentation de croire que ce sont nos entreprises qui nous sauverons en ce monde, mais cela est faux ».

Cette intervention s’est achevée sous une pluie d’applaudissements, suivie d’une courte interview avec la journaliste Monica Maggioni, directrice de Rainews24, juste avant que le frère Pizzaballa ne reprenne l’avion pour Tel Aviv. Stimulé par son interlocutrice, le Custode est revenu sur son témoignage des simple mais édifiants gestes de solidarité et d’entraide qui se sont déroulés sous ses yeux, au sein de la population d’Alep. Une population qui, malgré les dangers, ne cesse de remplir les églises et les mosquées pour la prière et pour offrir un soutien mutuel. À cet égard, il a souligné le sort que les djihadistes de l’État islamique réservent aux musulmans qui ne pensent pas comme eux, « Ils ont tué plus de musulmans que de chrétiens et ont détruit plus de mosquées que d’églises ».

« Que pouvons-nous faire? », A demandé Maggioni. « C’est une grande question – a admis Pizzaballa – à laquelle il est difficile de donner une réponse précise. La communauté internationale doit chercher des solutions concrètes sur les plans politique et civil. Mais la solution ne peut être trouvée que par quelques-uns. Il faut dialoguer. Bien évidemment, nous ne pouvons pas discuter avec ces fous de l’État islamique. Mais toutes les autres parties impliquées doivent être engagées. La communauté internationale doit trouver un moyen de « forcer » la recherche de solutions qui sont aussi d’ordre politique, économique, religieux et social ».

L’après-midi du Custode à Rimini s’est terminée sur une pensée pour le pape François : «Une chose m’a frappé sur le voyage du Pape en Terre Sainte. Une telle visite n’est jamais simple à réaliser : lorsqu’un geste s’accomplit d’un côté, il faut que s’accomplisse un geste similaire de l’autre côté. Tout est organisé par un programme, mais le pape n’en avait que faire. Il n’était pas prévu d’arrêt devant le mur (de séparation à Bethléem) et pourtant il s’y est rendu. Il n’était pas qu’il rende hommage aux victimes du terrorisme (contre Israël) à Jérusalem, et pourtant, il l’a fait. Le programme a été écrit, mais c’est aussi sa liberté qu’il a mise en jeu. Peut-être que nous, au Moyen-Orient, nous sommes trop attachés à nos schémas, à nos a priori. Peut être que vous, qui vivez au loin, vous pourriez nous aider en venant nous crier : «Maintenant ça suffit ! Tournez la page ! Allez de l’avant ! ». Je pense que c’est important ».

L’auditoire a exprimé son acquiescement par un tonnerre d’applaudissements.

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