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Miko Peled « Gaza délégitime Israël »

Chiara Cruciati
24 juillet 2014
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Alors que Gaza croule sous un énième massacre, de nombreuses voix s’élèvent contre l’opération militaire israélienne. C’est dans ce contexte que Miko Peled s’exprime ici. Citoyen israélien, né à Jérusalem il y a 53 ans, il vit actuellement aux Etats-Unis. Depuis plusieurs années, il est engagé dans le militantisme pro-palestinien. D’après lui «Il n'y a rien de nouveau : la bande de Gaza est bombardée depuis les années 50. Si au départ la justification était autre, aujourd’hui, l'ennemi, c’est le Hamas ».


(Bethléem) – Les ténèbres dans lesquelles sont plongés les Palestiniens n’en finissent jamais. Dans les Territoires occupés, à Gaza comme en Cisjordanie, tout est douleur. Dans la bande de Gaza, l’angoisse rythme l’écoulement du temps, le quotidien de ceux qui ne dorment plus, par peur des bombardements. En Cisjordanie, c’est l’impuissance qui se traduit par des affrontements nocturnes entre la population et les forces militaires israéliennes.

Depuis des semaines, on n’entend plus nulle part les bruits joyeux de l’iftar (repas de rupture du jeûne de Ramadan). La liesse des familles réunies s’est tue, les tintements de couverts, les rires chaleureux, les bruits typiques des soirées de Ramadan, au coucher du soleil, ont disparu. Les mélodies de la joie ont été remplacées par les éclats des bombes assourdissantes et le sifflement des balles tirées par des soldats israéliens : «Nous descendons dans la rue tous les soirs – déclare Issa’a, du camp de réfugiés de Dheisheh – pour manifester notre solidarité avec nos frères de Gaza, et pour mettre un terme à cette honteuse coordination de sécurité entre l’Autorité palestinienne et Israël : ce sont les forces de police palestiniennes qui bloquent nos manifestations ! ».

À une centaine de kilomètres à l’ouest, Gaza croule sous un énième massacre, de nombreuses voix s’élèvent contre l’opération militaire israélienne. C’est dans ce contexte que Miko Peled s’exprime ici. Citoyen israélien, né à Jérusalem il y a 53 ans, il vit actuellement aux Etats-Unis. Depuis plusieurs années, il est engagé dans le militantisme pro-palestinien. Son parcours est très complexe : fils d’un général de l’armée israélienne, il se raconte dans un livre, Le fils du général. Voyage d’un Israélien en Palestine explique sa jeunesse dans une famille sioniste très influente au sein de la société israélienne. Son grand-père, Avraham Katsnelson, fut l’un des signataires de la Déclaration d’Indépendance de l’Etat d’Israël, en 1948, et son père, Matti, a combattu dans les milices sionistes en 1948 puis en 1967, lors de l’occupation de la Cisjordanie.

Nous avons rencontré Miko Peled à deux semaines du début de l’opération « Barrière de protection », qui a été lancée contre la bande de Gaza en réponse aux tirs de roquettes par le Hamas sur des cibles israéliennes. Le bilan actuel est extrêmement dramatique : dans la bande de Gaza, on compte déjà plus de 600 morts et 4000 blessés ; des centaines de maisons ont été détruites ; des dizaines de bâtiments publics, des écoles, des mosquées ont aussi été endommagées, et plus de 100 000 personnes ont du quitter leurs foyers. La riposte du Hamas a également fait des victimes du côté israélien : depuis le début des hostilités, deux civils ont été tués ainsi qu’une trentaine de soldats israéliens ayant participé à l’opération.

Pourquoi Israël a lancé cette offensive militaire contre la bande de Gaza ? Quels sont ses objectifs ?

Nous allons traverser une période particulièrement difficile : la propagande du gouvernement a atteint des niveaux très élevés et s’est dangereusement enracinée. La télévision israélienne ne passe pas une seule image du bombardement de Gaza et 99 % des citoyens soutient les actions du Premier ministre Netanyahu. Ce qui manque, cependant, c’est le contexte historique. L’attaque de la bande de Gaza n’est pas quelque chose de nouveau : la bande de Gaza est bombardée depuis les années 50. Si au départ la justification était autre, aujourd’hui, l’ennemi c’est le Hamas ! Israël est créé sur un projet de colonisation qui force l’expulsion de la population indigène. Une expulsion qui a débuté en 1948 avec la Nakba (l’expulsion de 800 000 Palestiniens, dont les trois quarts des habitants à l’époque, par les milices sionistes). Ici, cette offensive est partie du même projet.

En quoi Gaza peut être considérée comme une menace à la sécurité de l’État d’Israël?

Gaza est effectivement une menace pour Israël, mais pas pour sa sécurité. Gaza est une nation de réfugiés, mais Israël a rappelé 40 000 réservistes et entoure la frontière avec des centaines de véhicules militaires. Pourquoi donc ? Contre qui doivent-ils combattre ? L’État d’Israël combat un peuple qui menace sa légitimité. Gaza représente tout ce qui peut délégitimer Israël : avec ses milliers de réfugiés se pose la question à laquelle Israël ne veut pas répondre, celle du droit au retour. Gaza est une menace parce qu’il délégitime l’image de la démocratie qu’Israël essaie de présenter au monde.

Tout rentre dans le récit israélien : le projet sioniste est un projet colonisateur, une tentative qui n’a toujours pas abouti, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, la grande majorité des Juifs dans le monde ne vit pas en Israël et nombreux sont ceux qui s’opposent à la création d’un État pour les Juifs seulement. Ensuite, sur le territoire de la Palestine historique, on compte environ 12 millions de personnes dont 50% seulement sont Juifs, soit à peine 6 millions de Juifs, d’après les données du Centre de Statistique Israélien.

Quelle est votre opinion sur les actions du Hamas et sa branche armée, les Brigades Al Qassam?

Israël affirme que l’opération en cours, comme celles qui l’ont précédé, est une nécessité pour mettre un terme aux tirs de roquettes à partir de Gaza, tirs effectués par des milices armées palestiniennes. La réponse du Hamas est un acte de résistance armée. Son but, frapper Israël, est le résultat de l’oppression et du blocus imposé à la bande de Gaza. Il n’y aurait pas de tir si la population de Gaza était libre : les missiles sont le fruit de l’occupation. Ils peuvent être jugés négativement, mais ils ne sont que le résultat de la politique israélienne.

Votre père était un général important dans l’armée. Quel rôle a-t-il joué dans ce que vous êtes aujourd’hui ?

Mon père s’est battu en 1948 et a été à la tête de l’armée en 1967 lorsqu’Israël a occupé Jérusalem-Est, la Cisjordanie, Gaza, le Golan syrien, le Sinaï. Même s’il était avant tout sioniste, il a tout de suite compris qu’Israël faisait erreur. Déjà en 1967, il avait présenté une enquête sur les crimes commis par les troupes israéliennes et il avait condamné l’occupation. Il était convaincu qu’il était temps de résoudre la question palestinienne par la reconnaissance de la Palestine comme un état souverain. Sinon, disait-il, Israël deviendrait une force d’occupation, indéfiniment, qui serait contrainte de faire face à la résistance palestinienne pendant des décennies, et se retrouverait finalement forcé d’accepter la formation d’un État binational. De toute évidence, il ne se trompait pas : immédiatement après la guerre des Six Jours, les autorités israéliennes ont commencé la colonisation sauvage des Territoires occupés.

Et les années qui ont suivi ont clairement montré qu’Israël ne souhaitait pas la paix. Arafat aurait été le meilleur des partenaires : avec Oslo, il acceptait de donner 80 % de la Palestine historique à Israël, sans discuter du droit au retour en échange de l’obtention de la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est pour créer un État palestinien. Pour Israël, cela ne suffisait pas.

La dernière tentative de négociations entre Israël et la Palestine a échoué dans l’œuf. Quels facteurs pourraient favoriser la paix ?

Les négociations actuelles ne sont pas des pourparlers entre deux états, deux peuples, deux armées. Il n’y a qu’un état​​ : celui d’Israël, qui contrôle les deux peuples. Pourtant, je suis certain que le jour où la société israélienne sera forcée d’accepter un État binational dans lequel vivront, dans l’égalité et la démocratie, Israéliens et Palestiniens, elle se mordra les doigts de ne pas l’avoir fait plus tôt. Israël a tout à gagner en faisant la paix. Mais, bien évidemment, l’un peuple des deux peuples devra volontairement renoncer à ses privilèges. La pression internationale est ici essentielle, comme cela s’est produit en Afrique du Sud, contre l’apartheid. Mais avec plus de facilité : les peuples israélien et palestinien sont tous deux très instruits, 95 % des enfants palestiniens sont scolarisés, contrairement aux opprimés d’Afrique du Sud dans les années 90 ; la Palestine est une société laïque et structurée.

La campagne mondiale pour le boycott d’Israël est très active. Estimez-vous qu’il s’agisse-là d’un bon outil pour faire pression sur l’Etat juif?

Au cours de ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation considérable de la sensibilité de la société civile internationale. Je vis aux États-Unis et j’ai vu un bond inimaginable : de plus en plus d’églises, de camps, de groupes de jeunes, d’organisations juives adhèrent à la campagne de boycott. Ils le font parce qu’ils sont conscients que la lutte palestinienne est une lutte pour tout le monde, y compris pour le peuple israélien. Il s’agit d’une lutte pour la justice, contre l’apartheid, et qui devrait être considérée comme héroïque. C’est un combat qui sera gagné lorsque seront libérés de l’oppression non seulement les Palestiniens, mais également les Israéliens. 

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