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Un intellectuel égyptien : « La situation est instable, mais nous laissons gouverner les militaires »

Manuela Borraccino
28 janvier 2014
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Pas de risque de « dictature militaire » en Égypte, voilà ce que proclame 'Assem al-Dessuqi, professeur d'Histoire moderne à l'Université de Helwan au Caire. S’il se présente à la présidence de la République, le général Abdel Fattah al-Sisi a fait savoir qu'il « serait jugé sur la base de ses idées et de son programme, et non sur la base de l'uniforme qu’il porte ». Interview avec 'Assem al-Dessuqi, l'un des critiques les plus sévères des Frères Musulmans.


(Rome) – Pas de risque de « dictature militaire » en Égypte, voilà ce que proclame ‘Assem al-Dessuqi, professeur d’Histoire moderne à l’Université de Helwan au Caire. S’il se présente à la présidence de la République, le général Abdel Fattah al-Sisi a fait savoir qu’il « serait jugé sur la base de ses idées et de son programme, et non sur la base de l’uniforme qu’il porte ». Ainsi, ‘Assem al-Dessuqi, l’un des critiques les plus sévères des Frères Musulmans (dont la conduite gouvernementale a été sévèrement jugée dans un essai récemment paru aux éditions il Mulino), commente les résultats du référendum qui a approuvé la nouvelle Constitution égyptienne il y a quelques jours, dans une interview accordée à Terrasanta.net.

Professeur, vous avez dénoncé à plusieurs reprises le processus « d’islamisation » déclenchée par les Frères musulmans lorsqu’ils étaient au pouvoir. Vous prétendez il n’y a aucun risque de voir une dictature militaire s’installer, peut-être considérez-vous ceci comme un moindre mal ?

Je ne pense pas que l’on puisse parler de « dictature militaire » simplement parce qu’un gouvernement serait dirigé par un général. Le général Dwight D. Eisenhower aux États-Unis et Charles De Gaulle en France ont-ils été considérés comme des dictateurs ? Je pense que nous devons juger chaque membre du gouvernement sur ​​la base de ses idées et de son programme, pas sur l’uniforme qu’il porte.

Dans l’instabilité que traverse l’Égypte, y a-t-il d’autres forces à l’œuvre, autres que l’armée ?

Il ne fait aucun doute que la situation politique est instable. Cependant, en dehors des forces armées, il n’y a pas de véritables forces politiques capables de convaincre et d’organiser le consentement de la majorité des Égyptiens, comme on a pu le voir dans la course à la présidence de juin 2012.

Que pensez-vous des arrestations de nombreux militants de la révolution du 25 janvier ?

Les activistes du 25 janvier arrêtés sont en réalité ceux qui ont essayé de détourner la véritable révolution populaire, en particulier les Frères Musulmans et le mouvement du 6 avril, financés par l’étranger pour mettre la « nouvelle Égypte » sur les mêmes rails que le régime Sadat-Moubarak, afin de défendre les intérêts israélo- américains dans la région.

Quelle est votre interprétation des évènements du 3 juillet  2013 ? Est-ce un coup d’État ou un véritable soulèvement populaire qui a conduit au renversement de Mohammed Morsi ?

Morsi a placé ses convictions religieuses avant tout le reste, il a renforcé le contrôle de la nation grâce à l’analphabétisme politique de nombreux citoyens, et grâce à la pauvreté de la majeure partie de la population, qui a perdu sa dignité à cause de la faim. Je pense donc qu’en juin, nous avons assisté à une véritable révolte populaire contre les Frères Musulmans, à cause de leurs nombreuses erreurs. Quoi qu’il en soit, dans les conditions socio-économiques actuelles du pays, il est impensable de voir des changements se concrétiser du jour au lendemain, comme cela a été réclamé lors des manifestations de janvier 2011. Dans une certaine mesure, on peut parler d’une sorte de coup d’État. Jusqu’à présent, nous n’avons fait que chasser un tyran (Hosni Moubarak) pour le remplacer par un autre (Morsi). Puis, le 3 juillet, Morsi a été remplacé par Adly Mansour, mais finalement, l’ancien régime de Moubarak et de son parti politique (Al Hizb Al Watani, le Parti national démocratique) sont toujours au pouvoir, avec quelques changements de façade, mais aucun dans la substance. Les gouvernements qui se sont succédés n’ont absolument pas fait avancer les objectifs de justice sociale de la Révolution.

Vous avez accusé les Frères Musulmans d’être ambigus. Selon vous, quelles seront les conséquences de leur mise à l’écart ?

Je continue à dénoncer leur ambiguïté : ces gens n’ont tiré aucune leçon du passé, et ils n’ont pas oublié ce qui leur a été fait. Ils ne cessent de répéter les mêmes erreurs, d’une manière ou d’une autre, et d’obtenir les mêmes résultats. Il suffit de regarder ce qui s’est passé pour eux après qu’ils aient assassiné le Premier ministre Al Nuqrashi (en décembre 1948 – ndlr), ou ce qui s’est passé après la tentative d’assassinat contre ​​Nasser, et en 1965 aussi, après le complot ourdi par Sayed Qubt – par le biais de leur « Organisation internationale » – pour chasser Nasser et ramener le roi Farouk à la tête de l’Égypte, par l’intermédiaire des anciens partis politiques. À chaque fois, ils ont été défaits par le gouvernement, ils se sont terrés dans la clandestinité, puis sont réapparus pour répéter les mêmes erreurs politiques.

En les reléguant à la clandestinité, n’y a-t-il pas un risque de voir le terrorisme augmenter ?

Je crois que les condamner comme organisation terroriste ne changera rien à leurs plans : au contraire, ils augmenteront les actes terroristes, mais cette fois-ci les autorités ne les laisseront plus faire. Comme nous l’avons vu, la police et l’armée les ont arrêtés progressivement. Je crois aussi que la diplomatie égyptienne fera de son mieux pour demander aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et à d’autres pays de les aider autant que possible à vaincre ces cellules terroristes, afin que les Frères Musulmans disparaissent une bonne fois pour toutes.

Les Coptes ont dit qu’ils étaient « déçus » par la Constitution, car si l’introduction de quotas de représentation politique offre aux chrétiens la possibilité d’avoir des représentants élus, elle les discrimine par rapport aux musulmans. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que les Coptes ont raison, parce que les Frères Musulmans les considéraient déjà comme des « partenaires de la patrie », une définition qui souligne explicitement la division des Égyptiens en deux parties, et qui va à l’encontre des idées de nation, de citoyenneté, de liberté, de démocratie, et de tout autre notion humanitaire.

Selon vous, quelles sont les  premières mesures qui doivent être prises pour satisfaire la demande de gouvernance démocratique exprimée par les activistes civils ?

Je crois que parmi les mesures les plus importantes à entreprendre, il faut la garantie de la libre formation des partis politiques, la libéralisation du syndicat, et l’élection des gouverneurs régionaux, choisis parmi les personnes vivant dans la région, pour une période de quatre ans. Et surtout, la création d’un « État de droit », basé sur le principe de l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de sexe, de confession, de niveau d’éducation ou de statut social, et la protection des droits de la personne pour chaque citoyen. Ce sera le point de départ de la cohésion sociale entre les «fils» d’une même nation.

 

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