Ces femmes qui veulent prier comme les hommes
Tous les grands médias s’emparent du sujet. Il faut dire qu’elles savent s’y prendre les “Femmes du Mur” pour faire entendre leur combat. Ces femmes juives religieuses veulent prier devant le lieu le plus saint du judaïsme comme le font les hommes. Sauf que ce n’est pas très orthodoxe.
Depuis plus de vingt ans, un groupe de femmes juives se réunit au Mur des Lamentations chaque premier jour d’un nouveau mois juif. Ces “Femmes du Mur”, comme elles se sont appelées, issues de différents courants du judaïsme, réclament le droit de prier. Mais elles entendent le faire en utilisant des symboles traditionnellement masculins pour la religion juive, dont le talit (châle de prière) et les phylactères. Depuis des années, elles se heurtent à l’opposition d’une frange de l’orthodoxie juive (mouvement harédi) qui gère ce site national en accord avec la Cour suprême israélienne.
Longtemps inconnues, les arrestations répétées et médiatisées de femmes portant un châle de prières ont suscité l’empathie et la colère des Israéliens laïcs et du monde juif moderne, obligeant le premier ministre Netanyahu à s’engager à trouver rapidement une solution acceptée par les deux parties.
Un féminisme religieux
Pour la loi juive orthodoxe, la femme est astreinte à bien moins de commandements (365) que l’homme (613). Cependant, les textes traditionnels autorisent les femmes à se montrer plus pieuses que ne l’exige la loi et à adopter également les commandements “masculins”, dont ceux du talit et des phylactères. L’opposition que suscitent ces Femmes du Mur dans certains milieux orthodoxes n’est donc pas tant légale que politique.
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Influencée par la société occidentale, ces femmes ne cachent pas leur adhésion aux idées du féminisme religieux. Si le féminisme laïc a de tout temps condamné les religions, considérées comme patriarcales et méprisantes à l’égard des femmes, le féminisme religieux s’élève contre la mainmise des hommes sur le message divin. Pour lui, ce n’est pas Dieu mais les rabbins qui reléguèrent la femme à un rôle secondaire. Le féminisme juif religieux en général, et les Femmes du Mur en particulier, ne se suffisent plus de l’autorisation du rabbinat traditionnellement masculin ; elles revendiquent une place égale au sein du culte.
Dès lors, on comprend l’enjeu politique du combat qui oppose mouvement harédi et judaïsme progressiste. Il s’agit d’un combat de fond, visant à modifier de façon radicale la face du judaïsme. La loi juive halakha, s’intéresse aux moindres détails de la vie quotidienne du croyant, de la façon de se lever le matin aux règles très strictes du Shabbat. Mais depuis toujours, ce sont les hommes qui rédigent ces lois, y compris celles légiférant la vie des femmes. La féministe religieuse, en exigeant un judaïsme égalitaire et inclusif, demande la ré-écriture de bien des lois. Pour elle, son écartement de la religion s’explique par des données sociales et son inclusion serait la réparation historique de cette injustice.
Pour le judaïsme, le droit d’interpréter les textes et de trancher la loi ne se trouve pas entre les mains du clergé mais entre celles de l’érudit(e). “La couronne de la Torah est posée dans un coin, que celui qui la désire vienne et la prenne”, enseigne le Talmud. De même, “un fils adultérin érudit vaut mieux qu’un Grand Prêtre sot” écrit-il. Le rabbin n’est rien de plus qu’un juif érudit, capable de par ses connaissances de trancher la loi et de l’enseigner. Cette brèche théologique permet aux Femmes du Mur de revendiquer une place au sein de la religion, même si celle-ci inclut une large réforme des pratiques juives.
“Jusqu’à quand te tiendras-tu à l’écart, fille turbulente ? Voici que Dieu crée du nouveau sur la terre : la femme fait la cour à l’homme.” (Jr 31,21), dit le prophète. Pour le féminisme religieux, ce verset messianique annonce le retour à l’égalité de la création signalée par le verset : “Dieu créa l’être humain à son image […], homme et femme il les créa” (Gn 1, 27). Ainsi, l’inclusion des femmes dans la religion juive serait d’autant plus autorisée qu’elle correspondrait à la nature profonde de la création. Pour les théologiennes du féminisme religieux, une pleine et entière égalité profiterait tant à la femme juive qu’à la religion juive toute entière.
En se drapant d’un châle de prières une fois par mois, c’est au caractère patriarcal de la religion que ces femmes s’opposent. Ce n’est pas, de leur point de vue, un combat contre mais un combat pour la religion. Pour une religion plus inclusive, plus juste, plus divine. Et tout laisse à penser que ce combat sera bientôt gagné.