Avec les victimes de la guerre en Syrie
Avec les victimes de la guerre, les frères de la Custodie de Terre Sainte en Syrie vivent aux côtés de la population locale le drame d’un conflit qui a déjà fait 60 000 morts, 2 millions de personnes évacuées dans le pays et un demi-million de réfugiés. “Notre mission ? Soutenir les familles chrétiennes et offrir de l’aide aux plus faibles, alors que le pays est dans le chaos”, explique le supérieur régional frère Halim Noujaim.
La Syrie était appelée le grenier de Rome : mais aujourd’hui, à cause de la guerre, ils n’ont plus ni pain ni eau, on n’arrive pas à leur téléphoner et – alors que c’est l’un des hivers les plus rudes de ces dernières années – il n’y a plus de fioul pour se chauffer ; un litre de carburant, qui coûtait 25 livres syriennes il y a peu (environ 25 centimes d’euro, ndlr), revient maintenant à plus de 300 livres”. Frère Halim Noujaim, supérieur de la Région Saint Paul (la grande zone qui comprend le Liban et la Syrie) de la Custodie de Terre Sainte, est affligé. La Syrie est une terre où les frères mineurs franciscains, avec leurs monastères – mais aussi avec leur hospitalité simple – sont présents depuis le XIIIe siècle. La guerre civile, qui dure depuis deux ans maintenant, a dévasté la vie des gens : les affrontements toujours plus sanglants s’intensifient à la périphérie des grandes villes et dans les zones frontalières. Des milliers de personnes ont dû fuir leurs maisons pour tenter de sauver leur vie. L’économie est paralysée, les hôpitaux restent sans médecin ni médicament. Dans ce paysage de mort, les franciscains de la Custodie n’ont cependant pas abandonné la communauté qui leur a été confiée.
Ils ont notamment gardé ouverts les couvents de Damas, Alep, des villages de l’Oronte et de Lattakieh. Nous avons demandé à frère Halim de nous raconter dans quelles conditions ils vivent et comment ils essaient d’aider ceux qui frappent à leur porte.
Le Mémorial “dortoir”
À Damas, cinq frères franciscains travaillent dans deux paroisses (celle de Bab Touma, la principale de la ville, est dédiée à saint Paul) et deux sanctuaires : celui construit hors les murs, sur le site de la conversion de l’apôtre, et la maison d’Ananie, à l’intérieur de la vieille ville, où Paul reçut le baptême. “La situation entre l’armée et les révolutionnaires est très tendue, explique frère Halim : en ce moment, les révolutionnaires font tout pour récupérer l’aéroport actuellement sous contrôle de l’armée, et qui est considéré par les adversaires comme un endroit stratégique. Il se trouve que le Mémorial de Saint-Paul est situé justement au début de la route qui y mène. En fin de compte, nous sommes sur la ligne de front… Depuis plusieurs mois, ici, il n’y a pas de paix ; jour et nuit on entend des explosions qui causent des centaines de morts. Avant mars 2011 lorsque la guerre a éclaté, le Mémorial de Saint-Paul était un hébergement confortable pour les pèlerins, mais aujourd’hui il est devenu un foyer pour les personnes déplacées et les réfugiés, notamment une centaine de chrétiens chassés de Homs et Hama. Ce sont des familles dont beaucoup de femmes et d’enfants, raconte frère Halim, ils ont besoin de tout le nécessaire, de la nourriture aux médicaments, des livres scolaires aux maisons à louer. Le coût de tout cela ne cesse de croître. Près du Mémorial se trouve le quartier populaire de Jaramana, théâtre, ces derniers mois, de plusieurs explosions de voitures piégées.
Et à proximité, Jarmuk, un vaste camp de réfugiés palestiniens. Lorsque les habitants du camp ont reçu des armes, ils les ont déployées contre le gouvernement Assad. En réponse, l’armée a bombardé le camp… Vous pouvez imaginer l’ampleur de la destruction que peut engendrer une bombe larguée sur un camp de réfugiés, où il n’y a aucune structure en béton…De nombreuses personnes ont dû fuir, se dirigeant surtout vers le Liban, plus près de Damas que la Jordanie et la Turquie”.
La vie sous les bombes
À Alep, les Franciscains qui restent sont à la paroisse de Saint-François, dans le quartier d’Azizieh à l’église de Er-Ram, où ont lieu également les activités de catéchisme et où se situe le collège de Terre Sainte. “Le couvent de Er-Ram a été touché à deux reprises par des bombes, poursuit frère Halim. La première fois, il y avait une centaine d’enfants qui étaient là pour le catéchisme. Des agents de la police ont suggéré de faire sortir les enfants dehors car ils soupçonnaient la présence d’une voiture piégée. À peine dix minutes plus tard, juste à temps pour sortir, une explosion dans la rue en face a causé la mort de plusieurs personnes, des dizaines de blessés et des dommages considérables à l’ensemble du monastère. Une fois restauré, le monastère a été à nouveau bombardé et il est maintenant totalement ruiné.”
Les combats sont féroces à Alep et rendent l’activité pastorale impossible. À quatre heures de l’après-midi, le couvre-feu est déclenché et personne ne sort plus de sa maison. “Il ne faut pas oublier qu’Alep était une ville industrielle très riche et très animée, poursuit le religieux. Pendant plusieurs mois, elle a pu rester en dehors de la guerre mais pour finir, le conflit l’a rejointe. Bon nombre des usines d’Alep ont été fermées ou ont dû déménager ailleurs. Et la ville est en train de s’appauvrir à grande vitesse. Depuis un certain temps, il devient très difficile de se procurer du pain, de l’eau, de l’électricité et d’avoir accès aux moyens de communication. Celui qui le peut, s’échappe. “Parmi les terribles épisodes récents du conflit syrien, il y a le massacre dans le quartier de l’université d’Alep, à quelques dizaines de mètres de la résidence du vicaire latin Mgr Giuseppe Nazzaro. Deux énormes explosions, le 15 janvier dernier, ont causé la mort de plus de 80 personnes, des dizaines de blessés, et des dommages considérables aux structures du Vicariat. Parmi les disparus, une religieuse de la congrégation de sœurs de Sainte-Dorothée, de retour au couvent.
Communications interrompues
La vallée de l’Oronte est la région la plus préoccupante, car à partir de décembre elle a été coupée de toutes communications. Les chrétiens ont enduré beaucoup de souffrances. Les franciscains sont présents dans quatre villages : Jisr el-Choughour (qui est le centre principal de la région), Ghassanieh, Knayeh et Yacoubieh. Celui qui arrive à s’enfuir se dirige d’abord vers Lattakieh, sur la côte, qui est aujourd’hui le lieu le plus calme en Syrie. Le couvent de Knayeh, en ce moment, accueille une centaine de personnes, des chrétiens et des musulmans sunnites et alaouites ensemble. “Ils arrivent à vivre ensemble parce que le prêtre a catégoriquement interdit à tout le monde de parler politique au monastère, explique Halim. Mais ils manquent de tout : de pain, d’eau et d’électricité. Les frères et religieuses franciscains font tout leur possible pour leur procurer des médicaments et des produits de première nécessité.”
Les chrétiens du village de Yacoubieh vivent une situation particulièrement dramatique, ont rapporté début janvier les journaux libanais. Les nombreux chrétiens qui vivent encore là-bas (environ 5 000 il y a peu), n’ont plus aucun moyen de communication : tout leur manque, à commencer par la nourriture. Ils ont lancé un appel à la Communauté Internationale.
“Dans de nombreux villages, des révolutionnaires ont séquestré des jeunes chrétiens et les ravisseurs exigent des rançons énormes pour libérer les jeunes garçons…. Parfois ils entrent dans un village et ordonnent aux chrétiens de quitter le pays sous quelques heures. Ils prennent les églises et les transforment en dépôts d’armes. De tels incidents sont survenus sur les territoires de Hama, Homs et Idlib, à la frontière avec la Turquie. C’est ainsi que les différents villages chrétiens se sont vidés… Notre travail d’accueil au service de toute la population, en particulier de ceux qui sont persécutés, permet souvent aux gens de ne pas quitter le pays.”