Convaincus ou pragmatiques? Des juifs religieux participent aux tractations qui accompagnent la formation du nouveau gouvernement. Mais l'étau se ressere autour de ces étudiants des yeshivah qui étaient jusqu'à présent exemptés de service militaire. Rencontre avec Gabriel, la barbe grisonnante, qui défend l'exemption dont bénéficient ces jeunes.
(Jerusalem/c.d.) – Les médias israéliens s’agitent autour de la constitution du nouveau gouvernement. Ils relatent la nouvelle contrainte avec laquelle doit composer Benjamin Netanyahou pour constituer son gouvernement: la visite du Président Obama le 20 mars prochain l’oblige à faire un pas vers les négociations avec les Palestiniens. Les médias relatent aussi les dernières tractations entre Netanyahu et les travaillistes, le dernier rapprochement entre Lapid et Bennett. Les uns et les autres posent leurs conditions pour apporter le soutien de leur groupe parlementaire au gouvernement. Au-delà de ces tractations, c’est la ligne politique théorique du prochain gouvernement qui se dessine.
Les Juifs ultra-orthodoxes participent à ces négociations. Plus par pragmatisme que par conviction ? Pour comprendre comment ils voient leur place au sein de la société israélienne, nous sommes allés à la rencontre de l’un d’entre eux. Gabriel a la barbe grisonnante. Il dit aimer faire des « connections » entre les gens de différents milieux culturels.
Un des thèmes majeurs – sur lequel s’accordent Lapid (centre gauche) et Bennett (extrême droite) – c’est le service militaire pour tous. Juifs ultra-orthodoxes inclus. Ce qui ne manque pas de le faire réagir. Il met en relief une des lignes sur lesquelles s’affrontent les formations politiques israéliennes. Écoutons-le.
Gabriel, c’est quoi être israélien pour vous ?
« Pour être juif [au sens appartenant à la nation juive], il faut croire en Dieu. Vous ne pouvez pas être un Juif musulman, un Juif chrétien. Vous ne pouvez pas parce que vous êtes Juif. Ce que les sionistes essaient de faire ici, c’est de faire comme si les Juifs étaient comme tout le monde. Ils ont un pays, d’accord c’est le pays originel. Mais pour nous [ultra-orthodoxes] ce pays, c’est quelque chose de religieux, c’est « terra santa ». C’est un lieu saint. C’est le palais du Roi pour nous. Ici, il faut se comporter mieux qu’ailleurs. Les Israéliens disent « on parle hébreux (…), nous avons notre culture. Les Français ont la France, nous avons Israël. Nous avons l’armée israélienne, ils ont l’armée française. Ils vont à l’église, on va à la synagogue. » Mais […] pour nous, les Juifs sont d’abord une nation mise à part des autres nations. Vous pouvez être juif au milieu de la Côte d’Ivoire Et aussi au Pôle Nord. Pour être juif, il faut d’abord respecter les enseignements du judaïsme. »
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous ne votez pas ?
« Il y a eu un vote récemment [les élections législatives]. Ici à Mea Shearim, on ne vote pas. On ne veut pas faire partie de cela. Nous voulons être à part. Mais nous sommes seulement une minorité. La plupart des Juifs orthodoxes, même s’ils ne sont pas sionistes, pensent comme nous. Leur éducation… Ils font tout comme nous. Mais ils pensent que, comme ils sont déjà ici, ils ont besoin d’un pouvoir politique. Sinon, ils se feront manger tout cru. De plus, il y a le problème que [certains en Israël] veulent que nos jeunes entrent dans l’armée, dans des unités mixtes [garçons et filles], etc. Ils disent que nous devons. Vous voyez la photo là ? C’est un rebbe Satmere, un survivant de l’holocauste, hongrois. C’était un homme saint. Il était à la tête d’une large communauté haredi aux États-Unis. Une des choses qu’il est venu dire ici a été : n’allez pas voter. Il représente une minorité. Mais il insistait sur le fait qu’il est interdit pour les Juifs d’avoir un gouvernement ici avant l’avènement du Messie. En d’autres mots, il a dit que même si tout le monde était religieux, ce ne serait pas permis. Parce que le temps n’est pas encore venu. De même il a dit : ne commencez pas une guerre avec les Arabes. Ne vous mettez pas en guerre avec le monde entier juste pour avoir un pays. Mais vous connaissez Herzl, le fondateur du sionisme; il n’était pas religieux. L’idée d’Israël n’est pas une idée religieuse. »
S’il consacre l’essentiel de son temps à la prière et aux études religieuses, il ne boude pas son plaisir quand il s’agit de tisser des liens. Gabriel, s’est volontiers prêté au jeu des questions réponses.