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Elias Khoury: Le dépassement du confessionnalisme pour sauver le Liban

Manuela Borraccino
28 septembre 2012
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Les palestiniens doivent se ressaisir et inventer "une troisième intifada légitime". C’est ainsi que l'écrivain Elias Khoury, un des intellectuels libanais les plus lus et appréciés dans le monde, voit la cause qu’il a toujours présentée dans ses romans, essais, pièces de théâtre. Khoury voit dans le dépassement du confessionnalisme l'étape cruciale de la stabilisation du Liban.


(Beyrouth) – Les palestiniens doivent se ressaisir et inventer « une troisième intifada légitime ». C’est ainsi que l’écrivain Elias Khoury, 64 ans, un des intellectuels libanais les plus lus et appréciés dans le monde, voit la cause qu’il a toujours présentée dans ses romans, essais, pièces de théâtre. Rédacteur en chef de la revue Journal of Palestine, professeur de littérature arabe à l’Université Columbia à New York, Khoury voit dans le dépassement du confessionnalisme l’étape cruciale de la stabilisation du Liban. Ce qui contribuera également à « précipiter la chute du régime syrien ».

Professeur Khoury, dans votre roman Visages blancs, écrit en 1981, vous dites la violence générale qui s’abat en temps de guerre: la violence dans les couples, dans les familles, dans les copropriétés, entre des quartiers entiers, entre libanais et palestiniens. Comment a-t-il été possible de vivre à nouveau ensemble ?

Dans ce roman, il y a la violence qui s’est abattue sur Beyrouth, bien sûr. Mais aussi le paradoxe de la violence comme forme de communication entre les personnes et les communautés. Pour comprendre la blessure d’aujourd’hui, nous devons nous tourner vers la guerre civile de 1860 entre chrétiens et musulmans au Mont-Liban, et la création du nouveau Liban menée par le mandataire français dans les années 1920. Il y a là en germe la même maladie qui a conduit à la guerre civile des années 80. Parce que la fragilité inhérente du Liban est déterminée par son système politique et social confessionnel. Il est contraire à la citoyenneté et une guerre civile ou une intervention étrangère seront toujours à craindre. C’est le système qui est malade. C’est le système qu’il faut réformer.

Avec l’histoire de Yalo, vous traitez de la guerre et de la « malédiction de l’identité ». Quelle est la situation aujourd’hui?

Je ne pense pas que depuis la fin de la guerre elle ait beaucoup changée: l’occupation syrienne qui a dévasté la vie sociale et politique du Liban est terminée. Mais nous ne pouvons pas dire que nous sommes sortis du tunnel. Si une nouvelle guerre devait éclater ou bien quand elle éclatera, ce sera entre sunnites et chiites ; car ces derniers n’ont pas l’intention d’être marginalisés à nouveau. Dans ce contexte, la fin du régime syrien ne sera pas en mesure de redessiner la carte de la région: la chute de Bachar al-Assad aura certainement un impact positif sur le Liban, mais il faudra attendre encore un certain temps pour que la situation s’améliore. Tant que la construction d’une citoyenneté à part entière au-delà de confessionnalisme ne sera pas considérée comme une priorité nationale, tant que ne se lève pas une société civile efficace au Liban, le pays restera dans les mains des forces régionales.

Quelles conditions doivent être mises en place pour que cela se produise?

Je reste optimiste parce que les révolutions en Tunisie, en Egypte, en Libye et celle qui est en cours en Syrie ont ouvert une nouvelle saison qui ne peut avoir qu’un effet positif sur le Liban. Les révolutions arabes ont été une grande leçon d’histoire: il est vrai qu’il n’y avait pas de pensée politique ou de leadership derrière ces émeutes. Mais ces mouvements représentent une explosion à l’intérieur des sociétés arabes, quelque chose de perturbateur et d’unique depuis des décennies. Il y a une tendance historique qui s’applique sous toutes les latitudes. Ce fut le cas par exemple de la Révolution française ou pour la Russie: c’est une leçon d’histoire donnée par le monde arabe. Et je pense que les intellectuels des différents pays doivent assumer un rôle et une responsabilité dans ce processus.

Dans La Porte du Soleil, vous racontez la tragédie des palestiniens et de la négation de leurs droits civils et politiques au Liban. Parce que même après la fin de la guerre ils n’ont jamais été en mesure d’améliorer leur situation?

Pour commencer, je pense que les palestiniens sont privés de leurs droits humains fondamentaux, et pas seulement de leurs droits civils et politiques. Même cette situation est une conséquence de l’idéologie malade et anachronique du système confessionnel du Liban. Comme vous le savez, la principale raison de la marginalisation des Palestiniens au Liban est due au fait que la plupart d’entre eux sont sunnites. Hier c’étaient les chrétiens qui étaient opposés à leur intégration, aujourd’hui ce sont les chiites. La bataille pour les droits des palestiniens fait donc partie de la bataille pour le progrès civil du Liban, pour le dépassement du système confessionnel.

Comment voyez-vous la fin du processus de paix?

Le point est le suivant: la bataille pour la patrie des palestiniens doit reprendre, et l’acquisition de leurs droits au Liban est l’un des moyens de reprendre le combat. Les palestiniens ont le droit au retour qui leur a été reconnu par la communauté internationale par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Je pense que le problème aujourd’hui est de définir la nouvelle stratégie à adopter après l’échec de la première et, surtout, de la seconde intifada.

Comment relancer les négociations?

De quelles négociations parlons-nous? Les israéliens ne veulent pas de négociations parce qu’ils ne veulent pas d’un Etat palestinien. Il faut inventer une troisième intifada usant de moyens légitimes qui sont toujours politiques, diplomatiques, populaires… Avec le dynamisme que nous vu au cours de l’histoire de notre pays ces derniers temps. Après tout, qui aurait pu imaginer les révolutions arabes? Personne ici n’aurait imaginé il y a deux ans ce qui allait se passer en Tunisie, en Egypte, en Libye, et a fortiori en Syrie. Les palestiniens ont les moyens de réorganiser la lutte pour la réalisation de leur projet: un pays. La deuxième intifada a été une défaite sur toute la ligne, maintenant il s’agit de reprendre le combat avec une nouvelle stratégie.

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