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Tarek Mitri : « Au Liban, il y a un désir de coexistence malgré tout »

Manuela Borraccino
13 septembre 2012
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Le peuple libanais attend du Pape « un message source d’espoir, de courage et de patience » explique l’ancien Ministre des Affaires Étrangères Tarek Mitri. Professeur de sciences politiques à l’université Américaine de Beyrouth, Grec-Orthodoxe, ancien ministre de la culture et de l’information, Mitri est l’une des figures de proue du dialogue œcuménique. « Les chrétiens ne peuvent pas penser leur avenir sans penser à l’avenir de leur pays », a-t-il dit à Terrasanta.net.


(Beyrouth) – Le peuple libanais attend du Pape « un message source d’espoir, de courage et de patience » explique l’ancien Ministre des Affaires Étrangères Tarek Mitri. Professeur de sciences politiques à l’université Américaine de Beyrouth, Grec-Orthodoxe, ancien ministre de la culture et de l’information, Mitri est l’une des figures de proue du dialogue œcuménique. « Les chrétiens ne peuvent pas penser leur avenir sans penser à l’avenir de leur pays », a-t-il dit à terrasanta.net.

Professeur Mitri, quelles sont les attentes des libanais concernant la visite papale ?

Je pense que la plupart des libanais verront d’un bon œil cette visite. Parce qu’ils savent que le Saint-Siège a toujours montré une attention particulière à leur pays. Ils savent aussi que ce pays, malgré toutes les difficultés qu’il a traversées, a toujours été vu par le Saint-Siège comme un symbole de rencontre, de dialogue et de pluralité. Je pense que la visite de Benoît XVI est une visite à la région et que le Liban sert de point d’entrée : ce pays a toujours été, pour la plupart des chrétiens du monde, une porte d’entrée du monde arabe. Et c’est le meilleur lieu pour parler aux arabes. Je pense que le Pape va délivrer un message non seulement aux libanais mais aussi à tous les arabes. Ce sera un message source d’espoir, de courage et de patience. Quelquefois vous rencontrez des personnes patientes et elles sont si patientes que l’on peut penser qu’elles sont fatalistes ou résignées. Et il y a des gens qui sont courageux. Et ils sont parfois si courageux qu’ils en deviennent aventuriers. Je pense qu’il est temps de trouver un équilibre entre la patience et le courage : ce que le Pape va nous dire combinera ces deux attitudes.

Le défunt Pape Jean-Paul II avait l’habitude dire que le Liban était un message. Son intuition est-elle toujours valide ?

C’est quelque chose que les libanais aiment à répéter. Et je dis souvent qu’il ne s’agit pas d’une louange du Liban pour ce qu’il est. Cette phrase appelle le Liban à une vocation. C’est un appel à une vocation plus que l’appréciation d’une réalité. Parce que notre pays a aussi été un champ de bataille des conflits de la région. Nous avons abandonné le message que Jean-Paul II voulait que l’on soit. C’est donc plus un appel à la foi en ce que ce pays pourrait et devrait être.

Pensez vous qu’il s’agit là d’un but réaliste étant donné les tensions constantes du pays ?

Ce qui rend le Liban unique, c’est sa pluralité religieuse. Et pourtant il y a un désir de toutes les communautés de vivre ensemble. Et le succès de cette vie ensemble est un message parce que dans de nombreuses régions du monde la pluralité religieuse est source de divisions et rend les États ou les nations précaires ou fragiles. Le Liban a connu une situation précaire et le Liban est certainement fragile. Mais il a survécu à de nombreux conflits internes et il a appris à survivre. Malgré tous les conflits qui divisent tous les libanais, le désir de vivre ensemble est toujours vivant, l’utopie de vouloir vivre ensemble est très forte et cela fait partie de la conscience que le libanais a de lui-même : chaque libanais se voit comme partie intégrante d’une société plurielle, aucun groupe ne veut vivre seul au Liban. Comme le principe de base du message est de parler, il faut dire que l’on est divers mais unis au sein d’une même identité nationale. Mais c’est un défi constant qu’il faut relever tous les jours et il n’y a pas de recette : on doit renouveler cette vie ensemble dans nos institutions politiques et notre société.

Est-ce qu’il existe au Liban une conscience nationale, malgré tout ?

Non, cela n’existe pas. Je pense qu’il y a eu des moments dans notre histoire récente, en 2005 par exemple, où l’on a pu sentir l’émergence d’une identité nationale. Mais il y a aussi des moments où l’on sent que nos identités communautaires sont plus fortes que notre identité nationale. Et on se demande alors ce qui nous tient ensemble. Ce sont les questions auxquelles on fait face dans plusieurs aspects de notre vie sociale : quand on parle d’Etat, d’institutions. Il y a des moments dans notre histoire où nous réaffirmons tous notre désir d’un Etat, d’une armée. Mais il y a des moments où les liens avec nos communautés, avec nos partis politiques sont beaucoup plus forts que notre loyauté à l’unité Nationale. Et parfois, l’Etat n’est pas quelque chose que l’on construit ensemble mais c’est plutôt quelque chose que l’on se partage : c’est comme un morceau de gâteau et chacun prend sa part. Le Liban hésite donc entre ces deux modèles, c’est pourquoi il y a une précarité. Mais les choses vont changer. Et je pense que si les choses venaient à changer en Syrie – et elles vont changer, les choses changeraient aussi au Liban.

Qu’attendez vous de la visite papale ?

J’espère que le Pape parlera pour demander aux chrétiens de s’investir d’avantage dans leurs sociétés, pour leur dire de se préoccuper d’avantage du futur de tous et pas seulement du leur. Parce que les chrétiens ne peuvent pas penser leur avenir sans penser à l’avenir de leur pays. Si le Liban est en paix, ils seront aussi en paix. Et si les autres Etats sont plus démocratiques, respectueux et protecteurs des droits de leurs citoyens, alors les chrétiens iront bien. C’est le bien commun qui rend la vie et la situation des chrétiens meilleures.

Vous avez critiqué les positions prises par la majorité des Patriarches Orientaux concernant la situation en Syrie. Pourquoi dites vous que leurs craintes sont « exagérées » ?

Vous ne pouvez pas démissionner par avance du rôle que vous pourriez jouer dans le futur en suggérant simplement que l’alternative à Bachar al-Assad, l’alternative à un dictateur séculaire, est une dictature islamique. C’est ce que certains chrétiens disent. Mais cela n’est pas vrai. Nous devons faire partie de l’alternative. Parfois, certains leaders chrétiens parlent et se comportent comme s’ils étaient des observateurs. On ne peut pas se permettre d’être des observateurs : nous devons être des acteurs. Il y a un dictateur et il y a un processus de changement. Si vous faites partie du processus de changement, alors vous ferez partie de l’alternative. Vous ne pouvez pas rester assis et regarder et attendre jusqu’à ce que la réalité ait changée : vous risquez de vous laisser marginaliser. C’est ce que les chrétiens qui supportent Assad en Syrie font : ils marginalisent leur rôle futur, et c’est très triste à dire.

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