Le verdict est tombé après 14 ans de bataille juridique. Selon le quotidien israélien Haaretz, la Cour suprême israélienne a déclaré le 10 juin 2019 que l’association Ateret Cohanim (Couronne des prêtres) avait bien des droits légaux sur trois propriétés de la vieille ville de Jérusalem, achetées en 2004 à l’Eglise grecque orthodoxe. Les ventes considérées comme étant légales, la Cour suprême approuve le transfert de propriété à Ateret Cohanim.
La Cour rejette ainsi l’appel que le patriarche de cette Eglise, Theophilos III, avait interjeté afin de contester une décision rendue le 1er août 2017 par le tribunal de district de Jérusalem qui stipulait déjà le caractère valide des ventes effectuées en 2004 sous le patriarche grec orthodoxe Irénée Ier.
Les opérations ont été réalisées au profit de trois sociétés immobilières étrangères intervenant pour le compte d’Ateret Cohanim. Il s’agit d’une association nationaliste juive fondée en 1978, qui a pour objectif via des transactions se faisant dans la plus grande discrétion, le rachat de maisons palestiniennes en faveur de juifs israéliens.
A ce titre, cette organisation est accusée d’œuvrer pour la « judaïsation » de Jérusalem-Est (englobant le vieille ville), occupée par Israël depuis 1967 et annexée en 1980 (ce que la communauté internationale ne reconnaît pas).
Le verdict de la Cour suprême rendu lundi est donc une très mauvaise nouvelle pour l’Eglise orthodoxe et aussi pour l’ensemble des Eglises chrétiennes qui voient se renforcer la présence d’Ateret Cohanim dans la vieille ville de Jérusalem. Qui plus est dans le quartier chrétien. En effet, deux des trois propriétés vendues se trouvent dans le quartier de la Porte de Jaffa à l’entrée ouest de la vieille ville. Il s’agit de l’Imperial Hotel et du Petra Hotel. La troisième vente concerne une maison (appartenant aussi historiquement à l’Eglise grecque orthodoxe) mais qui est quant à elle située au nord-est de la vieille ville, dans le quartier musulman.
Un long feuilleton
Ces transactions controversées avaient été révélées dans le journal israélien Maariv en 2005 et avaient donné lieu à des campagnes acerbes contre le patriarche Irénée Ier. Ce dernier avait été dans la foulée destitué et remplacé la même année par Theophilos III qui avait promis aux autorités jordaniennes et palestiniennes d’annuler les transactions. Au prétexte que les ventes en question (il s’agit de baux emphytéotiques qui équivalent de facto à une vente) s’étaient réalisées de manière frauduleuse, peu transparente et sans les autorisations nécessaires de l’Eglise grecque orthodoxe. Estimant par conséquent que les contrats de vente étaient illégaux.
Theophilos III avançait effectivement qu’Irénée Ier n’avait pas reçu l’approbation du Conseil synodal (collège supérieur qui s’occupe des questions ecclésiastiques et des détails liés à l’administration de l’Eglise) pour mener à bien les ventes. Il soutenait d’autre part que le directeur financier de l’Eglise, Nicholas Papadimas, avait reçu des pots-de-vin de la part d’Ateret Cohanim pour faire avancer la manœuvre. Enfin, le Patriarche avait également fait valoir que le prix payé par Ateret Cohanim pour les bâtiments, objets du litige, était nettement inférieur à leur valeur marchande.
Faute de preuve, le tribunal de district a validé en 2017 les ventes approuvant le fait que son prédécesseur, Irénée Ier, avait le pouvoir de conclure les ventes au nom de son Eglise et que son directeur des finances avait été son mandataire dans la procédure. La Cour suprême lui a emboîté le pas en décidant de rejeter le recours du Patriarche.
Il en va de l’intégrité de la vieille ville de Jérusalem
Déjà, Theophilos III s’était insurgé de la décision de justice de 2017 qui pour lui « [avait] dépassé toutes les limites » et « ne [pouvait] être expliquée que par des motifs politiques. » Le haut dignitaire religieux avait dénoncé dans une rare conférence de presse le 13 août 2017 à Amman ce jugement « partial » et « politique » et avait ajouté que la décision de justice « non seulement affect[ait] le Patriarcat mais frapp[ait] aussi le cœur du quartier chrétien de la vieille ville […] et [aurait] certainement des effets négatifs sur la présence chrétienne en Terre Sainte. »
Il y voyait véritablement un « affront direct à l’intégrité de la ville sainte » comme il s’en était indigné devant le pape François lors d’une visite au Vatican en octobre 2017. Le patriarche Theophilos III cherchant à obtenir son soutien – entre autres personnalités religieuses et politiques sur la scène internationale – afin de « de donner ainsi un message clair de soutien international à la présence chrétienne en Terre Sainte et au Moyen-Orient au sens large. »
Au niveau local, le patriarcat grec-orthodoxe, qui est la deuxième institution comptant le plus grand nombre de terres en Israël, derrière l’Autorité foncière israélienne, n’est pas isolé. Les Patriarches et Chefs des 13 Eglises et communautés chrétiennes de Jérusalem dans un message commun, le 4 septembre 2017, avaient signifié que « [Les] efforts pour saper la communauté chrétienne de Jérusalem et la Terre Sainte n’affectent pas une seule Eglise; ils nous touchent tous. » Ils s’étaient déclarés « résolus et unis » dans leur opposition « aux actions de la part de toute autorité ou groupe qui portent atteinte aux lois, accords et règlements qui ont ordonné [leur] vie depuis des siècles. » Avant d’ajouter « nous ne pouvons pas souligner assez fort la situation très grave que ces récentes attaques systématiques sur le Statu Quo ont eu sur l’intégrité de Jérusalem et sur le bien-être des communautés chrétiennes de Terre Sainte, ainsi que sur la stabilité de notre société. »