La Cour suprême d’Israël a rejeté le 10 juin 2019 le recours du Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem visant à bloquer la vente controversée de trois bâtiments lui appartenant. Ces derniers sont situés dans le quartier de la Porte de Jaffa, dans la vieille ville de Jérusalem englobée dans la partie palestinienne de la ville sainte occupée et annexée par Israël. Les biens fonciers dont il est question ont été achetés par des intermédiaires étrangers, trois sociétés écran, agissant pour le compte de l’organisation juive Ateret Cohanim, désignée par les 13 Patriarches et chefs des Eglises chrétiennes de Jérusalem, dans un communiqué publié en arabe le 12 juin 2019 sur le site du Patriarcat grec-orthodoxe de Jérusalem, comme faisant partie « des groupes de colonisation extrémistes. » Cette organisation juive a été créée en 1978 et œuvre au rachat de maisons palestiniennes en faveur de juifs israéliens.
Si la décision de la Cour est venue confirmer un jugement prononcé il y a deux ans par une juridiction inférieure, à savoir le tribunal de district de Jérusalem, les Eglises de Terre Sainte disent « soutenir fermement » l’Eglise grecque-orthodoxe, même après l’arrêt rendu lundi dernier par la Cour suprême, expliquent-ils dans leur communiqué. Pour eux, « essayer de saper l’existence d’une seule Eglise ici (ndlr : à Jérusalem) saperait toutes les Eglises et la communauté chrétienne élargie au monde entier. »
Pour sa défense, l’Eglise grecque-orthodoxe avait avancé ces dernières années le côté frauduleux et donc non valide de ces ventes qui ont eu lieu en 2004. Non seulement parce qu’elles avaient été réalisées sans l’autorisation du conseil synodal (collège supérieur qui s’occupe des questions ecclésiastiques et des détails liés à l’administration de l’Eglise grecque-orthodoxe de Jérusalem) mais aussi parce que son directeur financier aurait été soudoyé par Ateret Conhanim (pots-de-vin et fixation du prix de vente des immeubles à un niveau inférieur de leur valeur marchande). Les juges ont estimé que l’Eglise n’avait pas présenté suffisamment de preuves. Ce à quoi, le Patriarcat grec-orthodoxe, dans une déclaration officielle publiée au lendemain du verdict a farouchement affirmé « son opposition totale aux décisions injustes des tribunaux israéliens. »
Pour le Patriarcat comme pour les autres Eglises de Jérusalem, le problème est clair. Comme énoncé dans leur déclaration conjointe : « les attaques du groupe extrémiste qui tente de s’emparer des propriétés orthodoxes de la porte de Jaffa, portent non seulement sur les droits de propriété de l’Eglise orthodoxe de Jérusalem, mais aussi sur la protection du statu quo pour tous les chrétiens de la ville sainte et menacent la présence chrétienne originelle en Terre Sainte. » Le statu quo est cet ensemble de règles qui régit les rapports entre les diverses communautés religieuses à l’intérieur de la ville sainte.
C’est pourquoi les chefs des Eglises chrétiennes, refusant de voir un point final à l’affaire traitée par la Cour en sept jours (une « rapidité » qui a d’ailleurs suscité « une grande surprise » parmi eux) demandent expressément que « le jugement de la Cour soit repris. » Et en appellent encore une fois à « tous les dirigeants politiques influents, les dirigeants de pays et tous ceux de bonne volonté du monde entier à se joindre à [eux] pour rechercher un résultat acceptable dans cette affaire, de manière à préserver le statu quo et à assurer la sécurité de la communauté chrétienne».
Quelles menaces pour le quartier chrétien ?
Car les Eglises s’inquiètent aussi particulièrement du changement concret qu’un tel transfert de propriété peut occasionner dans la ville sainte. Pas seulement pour une question de physionomie mais aussi et surtout pour le respect de son caractère universel et inclusif.
Il faut pour comprendre leur crainte resituer le contexte géographique de deux des trois propriétés concernées par la vente de 2004 (il s’agit là de deux hôtels aux emplacements de premier choix), qui se trouvent dans le quartier de la Porte de Jaffa, à l’ouest des remparts de Jérusalem. Cette porte est considérée comme l’entrée la plus directe (avec la Porte Neuve) pour accéder au quartier chrétien de la vieille ville. Si les membres d’Ateret Cohanim prennent effectivement possession des dites propriétés, des facteurs de tension pourront apparaître dans ce passage largement fréquenté par les chrétiens et les pèlerins souhaitant se rendre à la Basilique du Saint-Sépulcre et aux autres lieu saints de la vieille ville, souligne l’agence Fides. Et d’autre part, les signataires dont le principal intéressé, le patriarche grec-orthodoxe Theophilos III, de s’émouvoir :« si ce groupe radical, Dieu nous en garde, est capable d’expulser et de saisir les locataires protégés (ndlr : qui bénéficient d’un statut inscrit dans une loi de l’époque ottomane régissant les locations de biens immobiliers pour éviter les évictions arbitraires), les chrétiens et les pèlerins perdront leur principal couloir d’accès au quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem, mais surtout, ils perdront également leur principal accès à l’église du Saint-Sépulcre. »
Comme l’explique le Times of Israel, « le statut de locataire protégé – qui se transmet sur trois générations en continuation de la lignée masculine – avait été aboli après la conquête israélienne de Jérusalem-Est, au cours de la guerre des Six Jours. Mais il s’applique encore techniquement si le statut a été octroyé avant 1968. » Ceux qui bénéficient du statut de locataires protégés peuvent être expulsés de leurs habitations après trois générations ou avant – si les tribunaux israéliens peuvent être convaincus que le statut a été perdu par des activités telles que la sous-location….
Au côté de Théophilos III, les 12 autres représentants des Eglises chrétiennes de Jérusalem parmi lesquels on compte notamment le patriarche arménien Nourhan Ier Manougian, Mgr Pierbattista Pizzaballa, administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem, le père Francesco Patton, custode de Terre Sainte, réaffirment ensemble « [leur] conviction que l’existence d’une communauté chrétienne vivante à Jérusalem est essentielle à la préservation de la communauté historiquement diverse de Jérusalem et constitue un préalable à la paix dans cette ville, dont la mosaïque doit être multiculturelle et multireligieuse. » On l’a compris, les têtes des Eglises de Jérusalem continuent comme elles l’avaient déjà fait en septembre 2017 à dénoncer les « violations » qui visent « à restreindre la capacité des Eglises à traiter librement de [leurs] biens » et qui donc, selon elles, menacent la pérennité de leur présence dans les murs de la cité trois fois sainte.